Mélenchon avant Hollande ? Pourquoi pas ?

Pendant que nombre de candidats aux élections présidentielles laissaient toute la parole au président-candidat, dans l’attente du dénouement du siège de Toulouse, Jean-Luc Mélenchon continuait sa campagne de rencontres avec des salariés ou des fonctionnaires. Chez ses partisans, on y croit, il devancera François Hollande et affrontera Sarkozy au second tour…   

Deux mots quand même, en préalable, à propos de la mort de Mohamed Merah à Toulouse…

D’une part, j’ai été quelque peu stupéfait de constater qu’ici même, sur Come4News, presque tous les articles publiés hier traitaient de cet exceptionnel fait-divers.

Cela m’a semblé plus significatif encore que le traitement de cette affaire par les sites des principaux quotidiens et hebdomadaires.

Que je cède moi aussi à la fascination de l’événement d’exception m’a semblé normal, puisque les faits-divers et ceux dits « de société » ont été fort longtemps ma spécialité rétribuée. Que ce soit si généralisé m’a interloqué.

Mélenchon n’était pas à Toulouse, il n’a pas eu à serrer la main de Sarkozy, et il semble que cela ne lui ait pas nui.

Absent à Toulouse, Mélenchon, qui s’en est pris hier non seulement à un photo-journaliste de Libération, mais à ses confrères en général, avec une sortie digne de celle de Maurice Clavel naguère (lui, c’était « Messieurs les censeurs, bonsoir ! », pour Mélenchon, un muet « connards »), a marqué une véritable rupture médiatique. Il était à Bobigny et Gennevilliers, estimant qu’être candidat n’est pas un statut et qu’il n’avait pas à « prolonger la campagne devant des cercueils… ».

Journalistes de peu de foi

Étrange personnalité. Mélenchon avait tout intérêt, lorsqu’un photographe a bousculé des enfants pour trouver le bon angle et taper sa plaque, de faire un esclandre public. Il a attendu l’intimité du bus de presse pour lâcher un « restez avec vos certitudes corporatistes » après un incident beaucoup plus mineur, puis faire arrêter le bus et rejoindre sa voiture. Aurait-il, comme le rapporte le Canard enchaîné, tellement le melon qu’il en devient pastèque ? Est-il en surchauffe ? Ou a-t-il sciemment créé un micro-symbole dont il savait qu’il serait rapporté ? Ce côté messianique du candidat fustigeant les marchands du temple peut plaire. Là où le FN se victimisait, Mélenchon rentre dans le lard et la « confrérie » ne lui en tient désormais plus rigueur.

Je ne sais qu’en penser… Toujours est-il que Mélenchon ne cesse de répéter qu’il devancera François Hollande. Bah… C’est mobilisateur. Il a donc sans doute intérêt à faire sans cesse remarquer à la presse, qui n’y croit guère, que cette perspective n’est pas si illusoire. Toujours est-il qu’il parvint, dès avant le rassemblement de la Bastille, à se faire considérer. Après Méluche à la Bastoche, il est incontournable.

Front contre Front

Seconde « digression » préliminaire, je m’étonne que Mohammed Mera, dont je présumais l’intérêt de se rendre sous les faisceaux des journaux télévisuels de 20 heures, ait pu sauter par une fenêtre sans qu’il se trouve de quoi amortir sa chute. Là encore, je ne sais… Faillite du renseignement – thème que je développais hier – selon Juppé, qui est revenu sur son opinion, ou non ? Erreur d’appréciation quelque part (et je me préserverai bien de pointer quiconque) ?
Un vague reste d’éducation chrétienne me fait regretter (très modérément) le décès de cet homme qui avait sans doute beaucoup à nous apprendre, tant aux facultés qu’aux spécialistes, sur son effarant cheminement. Je l’imagine, peut-être à tort, davantage en punk animé par le sentiment du “no future” qu’en islamiste radical vraiment convaincu servant une cause lui valant un incertain paradis. Cela, oui, c’est un thème de campagne, soit de débat démocratique.
Comment un Mohammed Mera en arrive-t-il jusque là ? Pendant le siège à Toulouse, Mélenchon, en banlieue parisienne, pointait aux journalistes des logements insalubres qui avaient été murés… 

En Algérie aussi, le désarroi et la misère ont gagné aux manipulateurs intégristes de nombreuses jeunes recrues. Pour Mélenchon, si je lis bien son blogue-notes, Mera n’est qu’un salaud innommable, un « dégénéré », qui aurait dû rester innommé pour ne pas finir en symbole. Je ne sais de quoi au juste Mera est le symbole. Il reste un phénomène, un révélateur, de divers éléments. Le Raid a échoué (mais cette remarque factuelle le reste : du fait des ordres ou d’une incapacité due aux circonstances de les appliquer, je ne sais). Mera a aussi échoué et je ne pense pas que son internement médical ou sa détention après comparution devant des jurés lui aurait permis de réussir à susciter je ne sais quelle insurrection sociale ou à connotation religieuse.

Mélenchon a vanté une police républicaine, dénoncé les propos « fielleux » de Marine Le Pen. Cette dernière a-t-elle laissé Wallerand de Saint-Just, son porte-parole, qualifier Mélenchon, Buffet, Bayrou, Sopo et autres de « salauds » ?

Je m’en tiens aux propos de la candidate FN : « Ce sont les Français, la fraternité qu’ils vont exprimer entre eux, musulmans, juifs, chrétiens, qui vont pouvoir lutter contre l’avancée du fondamentalisme. ». Rien à redire. C’est un peu court quand même car opérer une distinction si nette entre le fondamentalisme et le fait religieux (surtout celui inspiré par les religions dites du Livre, ce qui inclut le coran) me semble illusoire. Certains, comme les francs-maçons symbolistes, divers mystiques dont des salafistes, et les non-pratiquants l’ont certes fait. 

En revanche, cette stigmatisation de la candidate qui, de fait, ne s’attaque pas frontalement à ceux qui, dans son camp, tiennent un tout autre discours, me semble abusive. J’en viens à me demander si le Front de Gauche ne développe pas une tactique visant à conforter Marine Le Pen pour affaiblir Sarkozy. C’est peut-être payant, ce n’est pas très sain pour la suite. Il faudra bien tenir compte de la partie de cet électorat frontiste attiré par les promesses sociales du FN. Ces deux Front sont malgré tout poreux, ne serait-ce qu’aux chevilles, ou aux talons.

Tout sauf Sarko

Mais en tout cas, le fait que Mélenchon croie ou non à ses chances de figurer au second tour me semble moins important que la conviction qui gagne ses partisans que ce soit vraiment possible. J’en doute encore, pas forcément par réflexe corporatiste (phénomène grégaire indéniable dans la profession, mais je m’en suis bien éloigné). Mais elles et ils sont convaincus. Mélenchon, à présent proche de 12 ou 13 % selon les sondages, pourrait passer à 17, seuil déclencheur…

Mélenchon grignote des voix du côté des écologistes et à présent des dirigeants du NPA enjoignent de fait Poutou à renoncer. Myriam Martin, Hélène Adam, Pierre-François Grond, soit 40 % environ de cette formation (ce sont les chefs de file du courant Gauche anticapitaliste), se rallient au candidat du Front de Gauche. Même chez Lutte Ouvrière, Mélenchon représente un vote utile, du moins pour nombre de sympathisants.

Si le Front de Gauche parvient à capitaliser le « tout sauf Sarko » de la frange abstentionniste ou même jusqu’aux sympathisants de Bayrou venant à estimer Hollande trop peu pugnace pour affronter le candidat de l’UMP, Mélenchon a certainement quelques chances de se placer en troisième position dans la quinzaine qui vient. Ensuite, je ne vois pas trop quel déclic pourrait se produire, mais il ne faut pas négliger l’impact d’un canvassage du terrain.
« Méluche » mise sur « une force consciente, active, politiquement éduquée, autonome qui agit sans besoin de consigne ni organisation infantilisante comme chez les gros bonnets du showbiz politique. ». Tandis que les cadres du FN sont corsetés par des argumentaires à rabâcher, que ceux de l’UMP se voient contraints de glorifier un candidat en raison de sa seule personne, ceux du Front de Gauche peuvent compter sur d’autres cadres, parfaitement autonomes, capables d’argumenter sans avoir à consulter quelque document ou référent que ce soit. Ce n’est absolument pas négligeable, cela devait prendre pour Bayrou, force est de constater que, pour le moment, c’est plus efficace pour le Front de Gauche que pour le Modem.

Surveillez un peu le blogue de Mélenchon. On en arrive à un commentateur pour neuf visiteurs.  C’était un sur dix le 12 mars (de même que le 4, avec un billet vu près de 131 000 fois). L’habileté de Mélenchon consiste à se présenter davantage en catalyseur qu’en leader charismatique providentiel, ce qu’il devient tant bien même son programme ou sa personne n’enthousiasmerait qu’assez peu.

Une vraie dynamique

Le Front de Gauche parvient à susciter jusqu’à une dizaine d’assemblées citoyennes, sur des thèmes divers, ou tout simplement pour être ensemble, en de grandes villes ou des petites localités, chaque jour. Soit de multiples micro-banquets républicains.

« Nous créons de l’enthousiasme là où la campagne de François Hollande ne semble pas faire rêver (…) l’enjeu, ce n’est pas l’alternance, mais l’alternative, » résume Clémentine Autain. Cela porte dans une large part de l’électorat ancré à gauche, mais flottant. J’ai été abasourdi d’entendre dans la bouche d’une transfuge que « chez Joly » un « au second tour, si c’est Hollande contre Sarkozy, je risque fort de m’abstenir… ». Non seulement elle votera Mélenchon, mais ce sera aussi par contagion : son relationnel, assez large, plutôt classes moyennes et « petites gens » a basculé. Habitante d’une localité fort bourgeoise, elle constate aussi la présence physique des militantes et militants du Front de Gauche qui est bien le seul à se porter au contact.

Le slogan « Hollandréou » (évoquant le Pasok grec) a pris, semble-t-il, l’UMPS, voire L’UMFNPS, est dénoncée en filigrane dès qu’il est question de la Grèce ou de l’austérité en Europe. C’est un peu l’humanité contre la sphère politicienne… Mais pas derrière « le chef », plutôt « lui avec nous » que « nous avec lui ». Dans le parti de Thorez, cela se conçoit, mais c’est un peu aussi la tonalité du côté du Front de Gauche.

« Nous sommes le pôle a priori le plus hétérogène, le plus hybride, et nous apparaissons comme le plus cohérent, avec des porte-parole qui ne se contredisent pas mais portent les mêmes exigences, » ajoute Clémentine Autain. Surprenant mais palpable. Avec ou en dépit de Mélenchon lui-même. C’est un sacré tour de force…

 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

Une réflexion sur « Mélenchon avant Hollande ? Pourquoi pas ? »

  1. Le maire UMP de Marseille a été fort bien avisé de refuser les plages du Prado pour la tenue d’un rassemblement du Front de Gauche en Provence. Et de proposer le Dôme ou le Palais des Sports (capacités, selon Gaudin, de 8 000 personnes, ou le Pare Chanot, à la jauge de 30 000).
    L’UMP n’a plus vraiment intérêt à mettre Mélenchon en avant… En sus, le Front de Gauche a un problème : l’argent.
    Plus la mobilisation augmente, plus la location des salles lui coûte.
    Le ralliement de la GA (du NPA) s’accompagne d’une revendication de locaux et de finances, ce à quoi le NPA, bien sûr, se refuse.
    Et pas vraiment sûr que les banques aient trop envie de prêter au Front de Gauche.

    Autre chose, Catherine Nay, dans le plutôt droitier Valeurs actuelles, avance : « [i]Peut-être atteindra-t-il 12,13, voire 14 % au premier tour[/i]. ». Mais elle suppute ensuite que le PCF, pour conserver quelques bastions, voudra passer alliance tacite avec le PS pour les législatives. Ce n’est du tout sûr.

    Autre indice : en termes de popularité, Nicolas Hulot et Jacques Chirac l’emportent encore, pas trop loin devant Bayrou (70 %), mais Jean-Luc Mélenchon se place déjà à 57 % devant François Hollande (54 %), suivi de Sarkozy (+3 points à 41 %).

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