Livre papier contre tablette : le match ?

De la même façon que le mp3 a tué les disquaires, quelques voix alarmistes se font entendre pour avertir de la disparition prochaine du livre papier au profit du livre numérique et de la tablette. Même en France, très en retard par rapport aux pays anglo-saxons, la part du livre numérique augmente sensiblement dans le total des ventes de livres. Est-ce pour autant la mort annoncée des libraires ?

 

La guerre des livres aura-t-elle lieu ?

Admettons le tout net, parier sur la disparition prochaine du livre serait faire fi de la charge symbolique qu’il véhicule : un livre n’est pas une cassette audio ou vidéo, ce n’est pas un simple support technique pour un contenu qui seul intéresse. Si le disque vinyle a survécu, bien que de manière confidentielle, c’est parce qu’il est plus qu’un simple support de musique : c’est le souvenir vivant d’une époque où le son de la musique était encore chaud et riche. De la même façon, un livre papier est à la fois un objet d’art et un objet de divertissement, possédé pour lui-même, et dont la forme compte au moins autant que le fond. Pour quelles raisons sinon aurions-nous des bibliothèques où nous exposons fièrement des rangées entières d’ouvrages que nous n’avons jamais ouvert ?

Certes, le modèle économique du livre est en train de changer sous le coup des innovations techniques, et le progrès n’a pas que des inconvénients : un livre numérique, compte tenu de son format permet de « naviguer », de travailler sur le texte ou encore d’en extraire des contenus multimédia, via des liens hypertextes. A condition que cela soit bien fait, le livre numérique pourrait permettre d’enrichir considérablement l’environnement d’un ouvrage. Pour les libraires, il va s’agir de s’adapter aux nouveaux usages de consommation, dont la transformation est en cours. Et comme toute transformation, celle-ci effraie parce qu’elle contient une part de saut dans l’inconnu. Il est possible que dans 20 ans, lorsqu’un modèle économique stable permettra la coexistence des deux supports, ce débat nous paraisse totalement absurde. Mais en attendant, les changements sont là, et c’est maintenant qu’il faut réfléchir à la construction de ce nouveau modèle économique de l’édition. Déjà en 2007, Guillaume Robert, éditeur chez Flammarion avait entamé une réflexion sur le sujet : « [le livre numérique] est complémentaire à l’objet livre. […] Il faudra toujours des éditeurs pour travailler un texte, le publier ».

Le papier fait de la résistance

S’il faut tout d’abord défendre le support, on peut avancer que le papier a encore de beaux jours devant lui, car le livre numérique a amené avec lui les défauts de la dématérialisation : la possibilité de duplication à l’infini. Pour contrer cette menace, susceptible de tuer le monde de l’édition et de faire purement et simplement disparaître le métier d’auteur, ont été crées les DRM ouDigital Rights Management : un ouvrage ne peut plus être utilisé que sur un nombre restreint de supports, sans partage possible, en théorie, au-delà du seul acheteur. Conséquence première, un livre numérique, ça ne se prête pas, ça ne s’offre pas, ça ne s’échange pas. Le livre papier reste, lui, un média de lien social, qui voit la renaissance des foires aux livres de quartier, où, entre inconnus, on échange, on partage, on recommande des livres que l’on a lus et que l’on accepte de céder.

D’un point de vue technique et écologique, la numérisation des ouvrages est souvent considérée comme plus neutre envers l’environnement que l’impression papier, encore associée à tort à la déforestation. Or la réalité est beaucoup plus nuancée. Ceux qui se sont essayés à délimiter l’empreinte écologique des deux supports ont eu des surprises, car lorsque l’on intègre tous les facteurs (utilisation de ressources naturelles, transport, numérisation, fabrication des liseuses, recyclage…) on obtient des résultats inattendus : une liseuse électronique serait plus « écologique » que les ouvrages sur papier recyclé au bout de … 15 ans (à un rythme moyen de 16 livres par an en France). Qui compte sincèrement utiliser la même liseuse pendant 15 ans, alors que les standards informatiques de lecture dépassent rarement 10 ans d’existence, sans compter la durée de vie d’un matériel fragile ? Les livres numériques, parce que duplicables à l’infini, sont aussi perçus comme moins chers : la culture de gratuité, souvent illégale, qui prévaut sur Internet a contaminé les esprits. Que le livre soit numérique ou papier, il faut toujours rémunérer éditeurs, auteurs et distributeurs. Le livre numérique impose de plus un travail supplémentaire sur l’ouvrage et de nouveaux circuits de distribution. Dans la grande chaîne de l’édition, de l’auteur au consommateur, le livre numérique remplace simplement l’étape de l’impression par celle de la numérisation et l’ajout de certains contenus hypertextuels, mais ce n’est qu’une étape dans le procédé complexe d’élaboration d’un ouvrage.

Les éditeurs en première ligne 

Le risque, le vrai, avec la numérisation, ne porte pas tant sur la forme que sur le fond, si un modèle économique viable, qui permette aux éditeurs de travailler et aux auteurs d’écrire, n’est pas rapidement trouvé. Le piratage et les copies illégales ont toujours existé, même du temps de l’imprimerie des siècles passés. Par contre, si le métier d’auteur perd en attractivité du fait d’une rémunération insuffisante, le risque est grand d’en voir certains diffuser directement leurs œuvres sur Internet, à l’instar de ce qui se passe dans le monde de la musique. En supprimant l’éditeur de la chaîne de « transformation », ils pourraient espérer des gains plus profitables.

Sauf que ces comportements seraient de nature à tuer la qualité. Même les plus grands auteurs ont fait l’objet de corrections et on ne connaît pas de manuscrit qui n’ait été corrigé, retravaillé, affiné. Face à la révolution numérique, qu’il considère d’ailleurs comme une simple « évolution », le PDG d’Hachette Arnaud Nourry s’est d’ailleurs opposé avec force à Amazon sur la thématique du prix cassé, en défendant une juste rémunération de toute la chaîne de valeur du livre, pour ne pas pénaliser en premier lieu les auteurs. Il a mis en exergue cette fonction de l’éditeur, lors de la présentation des vœux 2011 à la maison de l’Amérique Latine : « nous ne devons jamais oublier que notre métier, c’est de publier des livres. Pas des contenus, des livres qui vivent et vivront demain parce que leur version imprimée rencontrera le succès. Des livres qui doivent être choisis ou conçus, travaillés, mis en page, imprimés, promus, et commercialisés avec talent et passion ».

Teresa Cremisi, Présidente depuis 2005 de Flammarion, partage cette vision de l’édition, en plus d’une certaine exception culturelle française : « l’édition est la plus forte, la plus solide et la plus nécessaire de toutes les entreprises culturelles. En France, nous avons un réseau de librairies unique au monde et des habitudes de lecture formidables ».  L’édition est un métier à part entière, un maillon essentiel et indissociable de la création littéraire. Ce qui est en jeu derrière le métier de l’éditeur, c’est la diversité, l’originalité, la créativité du monde littéraire. Peu importe au fond que cela soit lu sur du papier ou sur une liseuse ; la coexistence des deux supports est à la fois possible et souhaitable, car aucun des deux ne recouvre les avantages de l’autre. Le monde de l’édition n’a pas créé le livre numérique, il ne fait qu’accompagner une tendance et les souhaits des consommateurs de produits culturels. Cette tendance ne fera pas disparaître le livre papier, comme l’informatique n’a pas fait disparaître les imprimantes, bien au contraire.

 

Références :

« Comment préférez-vous lire ? Livre : numérique ou papier ? », Duel du Web

« Où en est le livre numérique en France ? », Atlantico.fr, 13 février 2013

« Le livre numérique va-t-il faire disparaître le papier ? » AgoraVox.fr, 31 aout 2009

« Avènement du Livre numérique 2.0 : Adieu le livre papier ? » AgoraVox.fr, 01 octobre 2012

« Amazon présente son « Kindle » : vers la mort du livre-papier ? », Rue89.fr, 25 novembre 2007

« Le livre électronique coûte autant et pollue plus que le papier », pcinpact.com, 25 mars 2009

« Livre papier vs livre numérique : lequel est le plus écolo ? », consoglobe.com, novembre 2011

« Du papier au numérique, quand le livre crée des liens », L’Express.fr, 21 aout 2012

« Livres numériques vs livres papier : les vrais usages des Français », archimag.com, 22 février 2013

 

4 réflexions sur « Livre papier contre tablette : le match ? »

  1. [quote] Conséquence première, un livre numérique, ça ne se prête pas, ça ne s’offre pas, ça ne s’échange pas. Le livre papier reste, lui, un média de [b]lien social,[/b] qui voit la renaissance des foires aux livres de quartier, où, entre inconnus, on échange, on partage, on recommande des livres que l’on a lus et que l’on accepte de céder[/quote]

    le livre papier reste un média de bien social…la tablette numérique transforme et pousse à la solitude,à l’égoïsme…

  2. Pour moi, il n’y a pas photo, rien ne remplacera jamais le plaisir de tenir un ouvrage entre les mains, tourner les pages encore et encore, sentir le papier glisser sous les doigts !
    Je ne pense pas non plus que l’on puisse dire que la France est en retard, il n’y a aucune gloire à vouloir faire disparaître un bien si précieux que le livres. Le tout numérique est une grossière erreur !

  3. [quote]Pour quelles raisons sinon aurions-nous des bibliothèques où nous exposons fièrement des rangées entières d’ouvrages que nous n’avons jamais ouvert ?[/quote]
    Vraiment, il y a des gens qui font ça ?

    [quote]une liseuse électronique serait plus « écologique » que les ouvrages sur papier recyclé au bout de … 15 ans (à un rythme moyen de 16 livres par an en France)[/quote]
    Aucun intérêt d’acheter une liseuse si on ne lit que 16 livres par an.
    Je lis plus de 3 livres par semaine en moyenne, la moitié (voir plus) sur liseuse. Ce qui signifie qu’au bout de 3 ans ma liseuse va devenir plus écologique. Ça ne semble plus si ridicule.

    Alors, bien sûr, il y a le plaisir des beaux livres, et j’en ai, beaucoup, des beaux livres. Et il y a les auteurs incontournables (T. Pratchett ^^). Là j’achète papier.
    Mais pour les romans « basiques », pourquoi s’encombrer ?

    On a tendance à oublier aussi que les liseuses peuvent aider les malvoyants : on peut choisir la police d’écriture ainsi que sa taille. Certaines liseuses peuvent lire les livres à voix haute…

    [quote]Pour contrer cette menace, susceptible de tuer le monde de l’édition et de faire purement et simplement disparaître le métier d’auteur, ont été crées les DRM ouDigital Rights Management : un ouvrage ne peut plus être utilisé que sur un nombre restreint de supports, sans partage possible, en théorie, au-delà du seul acheteur.[/quote]
    Il existe des éditeurs contre les DRM, le saviez-vous ?
    Les DRM reviennent à dire : vous avez posé ce livre sur cette étagère. Ne le changez plus de place. Vous voulez changer d’étagère ? Tant pis pour votre livre, il est à jeter !
    Cette méthode est plus pénible pour les gens honnêtes que pour les malhonnêtes : il existe des logiciels pour virer les DRM. Quelqu’un voulant partager le fera, la majorité des honnêtes gens ne savent même pas de quoi il s’agit.
    Il existe d’autres façon de protéger ses livres. Il suffit de taguer le livre comme étant acheté par xxx, ainsi, où que soit ce livre, on sait d’où il vient.

  4. Obligée de scinder mon commentaire…

    Je suis dans ma période « livres du domaine public », c’est génial, je peux lire légalement et gratuitement des tonnes d’ouvrages. Des choses que je n’aurais jamais lues avant (L’origine des espèces de Darwin par exemple). En format papier on doit toujours acheter au prix fort, et encore, il faut réussir à le trouver !

    [quote]Le livre papier reste, lui, un média de lien social, qui voit la renaissance des foires aux livres de quartier, où, entre inconnus, on échange, on partage, on recommande des livres que l’on a lus et que l’on accepte de céder.[/quote]
    Je ne suis pas du tout d’accord. Les liseuses permettent de noter, de commenter les ouvrages lus, on peut les publier sur les réseaux sociaux ou site spécialisés. Peut-être que vous n’en parlez plus à votre mère, mais vous en parlez (normalement) à des gens ayant les mêmes goûts que vous.
    Mais… vous n’avez pas peur que ces foires aux livres « tuent le monde de l’édition » ?

    Pour terminer (je n’avais pas prévu d’écrire autant), les formats papiers et numériques sont très différents même si le contenu peut être identique. Mais ce qui est sûr c’est que l’éditeur n’est pas en danger : que ce soit sur papier ou numérique il y aura toujours besoin de conseils, de corrections, de mise en pages… Et aussi de sélection d’ouvrages !
    => j’ai lu quelques auteurs auto-édités, c’est juste horrible. J’imagine qu’il peut y avoir de la qualité, mais je ne l’ai pas vue.

    Le danger est plus pour les libraires. Mais si les éditeurs acceptaient de fournir une version numérique par version papier achetée il y aurait moins de risques : même en ayant une version numérique, j’aurai toujours l’envie d’avoir la version papier.

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