Le grand rabbin Bernheim s’invente un prédécesseur

Cela fait déjà le tour de la Toile et des rédactions. Piquant une phrase du philosophe Vladimir Jankélévitch (publiée dans Quelque part dans l’inachevé), le grand rabbin Gilles Bernheim l’attribue à un mystérieux prédécesseur, « maître du hassidisme », Meïr de Przemyshlan, et se couvre de ridicule. Pas que lui d’ailleurs, car ses beaucoup plus lointains prédécesseurs, rabbins, prêtres, mollahs, imams, &c., n’auraient-ils point, eux aussi, inventé versets, haddiths, voire prophètes, esprits, déités ? 

« L’humour n’a aucune royauté à rétablir, aucun trône à restaurer, aucun titre de propriété à faire valoir, ne cache pas d’épée dans les plis de sa tunique ; sa fonction n’est pas de restaurer le statu quo d’une justice close, ni d’opposer une force à la force, mais plutôt de substituer au triomphe des triomphants le doute et la précarité, de tordre le cou à l’éloquence et à la bonne conscience un peu bourgeoise des vainqueurs. ». C’est de Vladimir Jankélévitch, fils de Samuel, un natif d’Odessa.

Cette phrase, le grand rabbin l’attribue à rabbi Meïr de Przemyshlan, qui évoquerait ainsi « la venue du Messie » (la première, ou son retour ?) de manière beaucoup plus pondérée que saint Jean ou d’autres apôtres ou prophètes de diverses croyances ou obédiences.

Przem est à la fois un prénom et un patronyme, d’origine polonaise, Yshlan plutôt un prénom, survivant notamment dans la communauté juive lusophone (ou ce qu’il en reste après les persécutions des Juifs au Portugal et en Espagne).

Il fallait le faire. Un rabbin Meïr de Przemyshlan a pourtant bien existé (1780-1850), (ainsi qu’un autre, antérieur) qui était très secourable aux jeunes mariées sans dots importantes et réputé pour ses réparties.

Brand Yéhiel, dans une lettre ouverte au rabbin Bernheim, datée de mars 2008, s’y était laissé prendre, estimant que le texte décrivait bien le « comment vivre l’attente du messie ». Il ajoutait qu’il est « indéniable que ce maître croit en la définition traditionnelle du messie à l’instar de tous les maîtres qui l’ont précédé ». Lequel messie « pourra utiliser la force si la situation l’exige, contre des nations qui viendraient sur la terre d’Israël pour y chasser les Juifs ». Pour Brand Yéhiel, il s’agissait d’établir que les non-Juifs devaient se convertir à l’hébraïsme, comme le préconisait Mélakhim Yad.

Au nom de quoi Yad le préconisait-il ? Peut-être en se ralliant à on ne sait qui aurait lu ou entendu dire une phrase à la Jankélévitch, ou à l’homme ayant entendu l’homme qui aurait entendu rugir l’ours.

L’affaire est aussi gênante pour le cardinal Philippe Barbarin qui a gobé cette histoire sans sourciller. Je suis toute indulgence, je n’ai lu qu’un livre de Jankélévitch, dont je ne me souviens plus du tout du titre (qui n’était pas Quelque part dans l’inachevé), et donc que je ne pourrais citer nul passage.

D’ailleurs, après cette tirade du rabbin, le cardinal (leur dialogue est consigné dans Le Rabbin et le cardinal, qu’on peut consulter en grande partie en ligne), botte légèrement en touche. « Pour les chrétiens, on perçoit une tension qui n’est pas toujours facile à vivre entre l’amour de ce monde et l’attente eschatologique ». Il cite Thérèse d’Avila (mais peut-être plutôt son nègre, ou sa ghostwriter, allez savoir) qui trépassait de ne point mourir.

Ce qui m’amuse, dans ce Rabbin et le cardinal, ce sont les capacités mnénomiques ou mnénotechniques des « interlocuteurs » (n’auraient-ils point échangé par courriels ?) qui auraient pu rendre jaloux Jérôme Cahuzac.

Chacun y va de citations de pères, rabbis, saints, prophètes, évangélistes, &c. En donnant les références de chaque. Cela donne, chez Barbarin, des phrases telle que « comme Jacob que j’ai déjà évoqué au gué du Yabboq, en Genèse 32 ». Mais, questions références calibrées, précises, il est vraiment battu à plates coutures par son acolyte.

Cet Untel a dit, comme Machin avant lui (et vraiment très peu de mères Michu contemporaines ou antérieures à Marie ou Madeleine), qui le tenait de Bidule, à cette aune, c’est vraiment très farce.

Parfois, Gilles Bernheim préfère l’ellipse : « cette élévation, mais aussi cette vérité de la pensée se passent de commentaires. ». C’est cela même !

La phrase du philosophe contemporain, comme pourrait le dire Philippe Barbarin, pourrait être lue et relue « dans la tradition de la lectio divina » jusqu’à devenir en soi « parole de bonté ». Sauf qu’il n’est que philosophe et non père d’une église ou d’une mosquée, ou d’une synagogue. On ne sait d’ailleurs qui pourrait l’avoir inspirée au philosophe, mais il se peut que ce fut un prédécesseur grec ou romain, voire un religieux quelconque. La boucle serait bouclée.

Pendant fort longtemps, avant la Renaissance et après la chute de l’empire romain, la parole, l’écriture, furent réservées aux religieux. Combien de Bernheim avant Bernheim ? On peut se poser la question sans trop pouvoir y répondre avec d’absolues certitudes.

Mais cela est propice aux doutes. Sans répétiteur, Mahomet écrit tout le coran. En un temps record. Quant à la bible, aux évangéliques, on n’en connaît mal la véritable genèse. Mais tous n’auraient-ils point un poil pompé, détourné ?

Non seulement le grand rabbin donne l’envie de se taper sur les cuisses, mais il jette la suspicion sur ses prédécesseurs, son sans doute imminent successeur, et leurs comparses passés et à venir. À ce stade, c’est davantage qu’un crime contre l’intelligence, mais une faute.

Je ne saurais lui en vouloir. Sur les zincs que je fréquente, il y aura toujours un coup de rouge ou de blanc à son choix, histoire d’échanger des blagues de comptoir. Le hic (le hips) sera de les rendre assez intemporelles pour en faire des recueils de prêt à penser approchant la haute couture. Avec un foliotage poussé, histoire de faciliter la tâche de celles et ceux qui, bien après notre improbable assomption, feront doctement à d’autres attendre le messie.

En ma qualité de Grand Mufti du bar des Amis, Patriarche de celui de la Gare, en vérité, en vérité, je vous le dis, un grand rabbin peut en cacher un autre : frères, gardez-vous à dextre, sœurs, gardez-vous à senestre… Il n’y a pas qu’un Cahuzac, et pas qu’un Bernheim.

Aux dernières nouvelles, le grand rabbin a démissionné et un remplaçant lui est cherché…

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

Une réflexion sur « Le grand rabbin Bernheim s’invente un prédécesseur »

  1. Le grand rabbin était tout compassionnel envers les homosexuels… jusqu’au mariage pour tous.
    Là, qualifié de « sommité » de la pensée et de la spiritualité par des évêques, il a tourné casaque. Sans doute en raison du fait que la majorité de ses ouailles, sépharade, est pétrie de coran.
    Mais au moins n’est-il point allé détourner des citations pour les attribuer à de forts religieux penseurs pour appuyer ses thèses.

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