L’aqueduc romain de Nîmes. Défi et prouesse technique.

L’aqueduc amenait les eaux captées aux fontaines d’Eure, au pied d’Uzès, jusqu’au Castellum divisorum, bassin de répartition, qui les dirigeaient vers les différents quartiers, thermes et fontaines de la ville de Nîmes. Il fût construit au I° siècle pendant la période d’expansion de la ville de Nîmes. Sa mise en œuvre avait débuté entre 41 à 54 après J.-C, sous le principat de l’empereur Claude à qui l’on devait l’édification de deux des plus grands aqueducs de Rome, « l’Aqua Novus » et « l‘Aqua Claudia. » Sa construction avait dû s’étendre sur une quinze ou vingt ans.



La partie la plus célèbre en est le Pont du Gard, le plus haut pont à trois niveaux des aqueducs romains. Certes, il traverse la vallée du Gardon, – ou Gard qui a donné son nom au département -, en un site particulièrement étroit, mais sa hauteur, de 48,77 mètres au-dessus du lit majeur de la rivière, lui octroie, néanmoins, une longueur actuelle, au troisième étage, de 275 mètres. Son extrémité, côté rive gauche, ayant été tronquée de plus ou moins 100 mètres, originellement il avoisinait les 380 mètres de long.

 

La choix de la fontaine d’Ura

A l’origine Nîmes était alimentée par la fontaine sacrée Némausa, coeur de la cité où aboutissaient les voies. Avec l’arrivée massive des vétérans d’Égypte, sa population avoisinant les 20.000 habitants aux temps de sa splendeur, la ville dût rechercher d’autres approvisionnements en eau. La source devait être située plus haut que le réservoir d’arrivée. L’eau devait y être très pure, en quantité suffisante et peu éloignée de la ville.
L’eau de la Fontaine d’Eure présentait toutes les caractéris­tiques requises pour répondre aux besoins en eau potable de la cité némausienne. Elle s’avérait propre à la consommation et son écoule­ment était conséquent. Son débit moyen s’étalonnait à 430 litres/se­conde. La source se situait à une altitude de 76 mètres alors que le réservoir terminal plafonnait à 59 mètres. En outre, de toutes les sources pouvant répondre aux critères, elle était la plus proche. A vol d’oiseau, elle se trouvait à 20 kilomètres de son lieu de destina­tion.
 
La fontaine d’Eure, lieu de culte des romains.
 
C’est au bord de l’Alzon, autour de la source d’Eure, que l’on découvre les premières traces d’une construction romaine à Uzès. Ils y avaient fait ériger un hôtel votif en l’honneur de Cybèle, déesse de la fécondité, de la nature, des fontaines et des sources, pour y vénérer le culte de l’eau.
« AVGVST LARIBVS CVLTORES*VRAE FRONTIS.(1) » Cette dédicace, localisée sur le mur antérieur du laraire, justifie l’exaltation des romains pour les fontaines de l’Eure. Et le choix de cette résurgence, pour le captage de ses eaux et leur transport par aqueduc, ne pouvait donc qu’apporter la protection de la déesse dans les foyers de la colonie romaine.
 
Les contraintes opposées aux constructeurs de l’aqueduc.
 
Du fait d’une topographie escarpée, même si, à vol d’oiseau, la distance n’est que de 20 kilomètres, les Romains ont dû rallonger l’aqueduc à environ 50 kilomètres. La dénivellation entre les sources de l’Eure, 71,13 mètres au départ de la canalisation, et le réservoir d’eau de Nîmes, 58,95 mètres, est seulement de 12,18 mètres, une pente moyenne de 0,25 mètre/kilomètre, ayant nécessité une très grande précision dans sa construction.
L’itinéraire, de même, dénote de la parfaite connaissance du terrain et profite de ses caractéristiques. L’aqueduc chemine enterré dans les sols meubles et à ras de terre ou en hauteur sur les sols rocheux. La conduite, de 1 mètre 30 à 2 mètres de large, à hauteur d’homme, est entièrement maçonnée, étanchée par un enduit en mortier de tuileaux(2) et voûtée en plein cintre. Des ouvertures y sont aménagées pour aérer l’eau ou pour assurer les vidanges, le nettoyage et les réparations.
 
Entre la fontaine de l’Eure et Vers, un défi à la géométrie, au relief et à la topographie.
 
Partant de la Fontaine d’Eure, à Uzès, où plusieurs captages y sont réalisés, et son bassin de régulation à martilières(3), l’aqueduc chemine sur la rive gauche de l’Alzon. Il est, sur premiers hecto­mètres, faiblement enterré. Il réapparaît, servant de mur-bahut(4), le long du château Bérard, pour disparaître à nouveau et suivre les contreforts de la garrigue d’Uzès.
La plupart du temps édifié en tranchée enterrée, resurgissant quelquefois, il passe devant Saint Maximin et se dirige vers Argilliers. Le robuste Pont de Bornègre, en gros appareillage, à trois arches de 17 mètres de long sur 2,70 de large, était conçu pour enjamber et affronter les flots tumultueux du torrent du gouffre de Bornègre Après l’ouvrage d’art, l’aqueduc redevient souterrain pour réapparaître, sur plusieurs centaines de mètres, près du village de Vers.
 
Du village de Vers à Remoulins, une succession d’ouvrages d’art envoûtants.
 
A la sortie de Vers, l’aqueduc plonge vers le sud, et franchit le pont de la Lône de 300 mètres de long et d’une hauteur de 7 mètres 50. Il chemine, ensuite, surélevé par un mur-bahut, vers une superbe envolée de trois séries d’arches. Sur près de deux kilomètres, c’est une des parties les plus impressionnantes de l’aqueduc.
A cet endroit-là, s’enchainent le site de Font Ménestière où s’élevait un pont à deux rangs d’arcades, 200 mètres de long et 20 mètres de haut, le Pont Roupt et le Pont de Valive.
Le tracé de l’aqueduc se poursuit, en enterré, dans la garrigue, pour déboucher, sur les rives du Gardon, dans un bassin régulateur à la tête de la culée amont du monumental Pont du Gard qui enjambe magnifiquement, à près de 50 mètres de hauteur, le cours d’eau imprévisible et tumultueux en périodes de crues. Après le passage de cet obstacle impressionnant, il longe, à fleur de terre et à flancs de garrigue les bois de Remoulins et franchit sept combes sur des ouvrages plus petits dont, malheureusement, le plus grand a disparu.
 
De Remoulins à Nîmes, la génialité de la conception d’un tronçon d’aqueduc fleuron de l’ingénierie hydraulique romaine.
 
Après Saint Bonnet du Gard, en conduite enterrée, l’aqueduc se dirige vers Sernhac. Par deux remarquables tunnels creusés dans le rocher, il évite les carrières qui avait été exploitées, à flancs de garrigue, pour ériger, en 15 avant J.C., les remparts augustéens de 6 mètres 50 pour 6 kilomètres autour de la ville de Nîmes. Et, suivant la vallée de la Vistre, par Bezouce, Saint Gervasy et Marguerittes, vallée de la Vistre, après avoir résolu le problème posé par le franchissement de l’étang de Clausonne, il se dirige vers Nîmes.

L’aqueduc réapparaît à l’entrée de Nîmes, sur quelques hectomètres et rejoint, en tunnel, le Castellum Divisorium après avoir parcouru 50 kilomètres de méandres à travers la garrigue avec une pente maximale de 0,45 mètre/kilomètre et une pente minimale de 0,07 mètre/kilomètre. L’aqueduc termine sa course au Castellum divisiorum, l’eau étant dispensée dans la ville grâce à une série de cinq aqueducs secondaires.

 

Raymond Matabosch


Notes


(1) « Aux Lares augustes, les adorateurs de la fontaine d’Ura »

(2) Le mortier de tuileaux était un mélange très fin de chaux grasse, de calcaire blanc et pur de carrière et de petits morceaux de tuiles ou de poteries concassées

(3) Un jeu de planches en bois permettait au préposé au bassin de régulation de diriger l’eau en crue vers l’Alzon afin d’éviter une surpression dans le canal qui aurait pu le détériorer.

(4) Mur-bahut, mur de soutènement.

Une réflexion sur « L’aqueduc romain de Nîmes. Défi et prouesse technique. »

Les commentaires sont fermés.