La nuit du Pharaon – Episode 35

 

Le vent soufflait vers le sud, s'engouffrant dans les grandes voiles de nos navires. Ainsi nous pûmes avancer sans difficulté contre le courant. De nombreux petits villages bordaient les rives, surtout à l'ouest. Les habitations étaient en terre battue, mais différentes des habitations de la campagne égyptienne, car elles étaient rondes comme des pigeonniers, et aucune n'avait d'étage. A notre passage, les indigènes désertaient leurs villages où seules les fumerolles des foyers témoignaient de quelque activité. Ces huttes se regroupaient autour des arbres et des fourrés qui longeaient le Nil.

D'énormes blocs de granit commencèrent à parsemer le fleuve, pour bientôt l'envahir comme si les eaux avaient poussé la montagne pour trouver leur passage. Cela ressemblait à une cataracte, mais le niveau de l'eau était constant, et nous pûmes naviguer facilement entre les rochers. La flotte remontait le fleuve entre deux hauts pans de montagne dont les falaises à pic nous dominaient, et si le Nil n'avait été si large, on eut pu craindre une attaque des tribus belliqueuses de la région. Mais nous étions hors de portée des flèches qui auraient pu être tirées du plateau, et le pays était pacifié depuis près de trois ans sans qu'aucune rébellion n'ait eu à être signalée.


Le soir, nous nous arrêtâmes sur l'île de Kalabchah qui abritait une importante garnison ainsi que les résidences de quelques nobles d'Égypte et de Nubie. Des émissaires ayant prévenu de notre arrivée, le commandant du château nous fit une grande fête qui dura trois jours, et je fus patient, car, pour ces soldats, il n'y avait pas beaucoup de distractions en ces lointaines contrées. L'île était bien irriguée et suffisait à elle seule à entretenir les cinq cents hommes qui y campaient en permanence. Les grandes tentes étaient disposées par groupes tout le long de l'île au milieu de laquelle se dressait le château, une des plus vieilles bâtisses du pays. Le grand mur d'enceinte était percé d'une seule porte monumentale et les bâtiments intérieurs étaient à deux étages, le plus haut étant destiné au guet. Tout cet édifice était fait de belles pierres tirées de l'île elle-même. Au nord, à l'abri du courant, nos ancêtres avaient aménagé deux jetées qui faisaient comme un port en cette saison, mais qui devaient être submergées lors des grandes crues.

A l'opposé du port se dressait un petit temple construit un siècle auparavant par mon aïeul Aménophis, le deuxième du nom. Mais ces bâtiments étaient à l'abandon, et j'enjoignis les prêtres de ma suite de désigner certains d'entre eux qui pourraient, à notre retour, s'y établir et restaurer le culte dans cette île dont l'emplacement stratégique était si important pour l'Égypte.

Sur les deux rives, vis-à-vis de l'île de Kalabchah, de nombreux villages s'étaient regroupés sous la protection de la garnison, et les habitants faisaient commerce avec les soldats, certains, parvenus à l'adolescence, s'engageant dans les troupes mercenaires pour quitter leur condition et entrer au service de l'Égypte, les autres restant pour la vie à la lisière du désert, soumis aux lois internes de leurs tribus, vivant d'un peu de culture, d'élevage de brebis, du commerce du sel, de poissons séchés, et de la fabrique de ces poteries rouges et noires qu'on trouve en grand nombre à Thèbes, transportées par les marchands le long du Nil.

Le soir, Aube et Meryet restaient au château avec les femmes des nobles, tandis que je faisais le tour de l'île, accompagné des officiers et de quelques prêtre. La veille de notre départ, le commandeur me fit traverser le fleuve, et nous accostâmes en pleine nuit sur la rive orientale, là où la plaine est si basse qu'elle doit être totalement inondée pendant la crue. L'île nous apparut alors dans toute la beauté irréelle d'un magnifique clair de lune qui faisait miroiter le fleuve à l'entour, tandis que se détachaient de l'ombre la masse blanche des bâtiments du palais et le pylône du temple désaffecté. Au loin, dans le port, les vaisseaux regroupés semblaient vouloir profiter de cette nuit magique pour tirer l'île vers le nord, comme on tire un lourd chaland chargé de précieux obélisques jusqu'à Thèbes. Sans le village, les indigènes s'étaient endormis autour des grands feux de joie qui brûlaient depuis trois jours, seules quelques femmes berçaient les enfants d'une lancinante mélopée qu'un vieillard accompagnait en frappant lentement des mains. Les odeurs de charognes, restes des festins de ces derniers jours, empestaient l'atmosphère, et les silhouettes de nombreux oiseaux de proie peuplaient les acacias du rivage comme d'énormes fruits. C'était un étrange contraste que de voir cette île enchantée par l'œil d'Horus, comme un écrin renfermant la perle de l'Égypte au milieu des parfums des nobles et de l'encens des prêtres, et sur le rivage cet air empuanti par les tribus qui partagent encore leur nourriture avec les animaux sauvages. Ainsi en était-il de toute l'Égypte en proie au harcèlement incessant de ses voisins barbares.

Le lendemain à l'aube nous profitions du vent favorable pour cingler vers le sud. Le gouverneur de Kalabchah offrit de nous accompagner jusqu'à Pakhoras avec sa suite, et j'en fus bien aise pour mon aimée et sa compagne qui n'avaient autour d'elles que des militaires depuis plus de six semaines.

Les capitaines de nos vaisseaux connaissaient bien le cours du Nil, et ils surent se déjouer des dangers que présentent les écueils qui affleurent comme une chaîne de montagne sous les eaux, et le niveau étant bas, nous aurions pu cent fois nous échouer ou éventrer les coques de nos navires. Mais une embarcation légère, comme une barque de batelier, avait été dépêchée en avant de la flotte pour sonder le chenal, et grâce à son œil expert, la gaffe du navigateur était pour nous comme le bâton des aveugles. Les lourds bâtiments passèrent un à un sans encombre cette zone dangereuse qui devait être facilement praticable en temps de crue. Nous fîmes halte pour la nuit au bord d'une grande plaine formée par l'éloignement des montagnes de part et d'autre du fleuve, et où paissaient de nombreux troupeaux de brebis sur ce sol verdoyant dont la terre noire rappelait le sol de Thèbes. Les habitants de la région nous parurent très familiers, et ils ne furent aucunement surpris de voir des prêtres et des soldats, car ils connaissaient bien le Vice-Roi, et cela mit un sourire en mon cœur, car la longueur du voyage me pesait déjà. Nous pûmes échanger quelques bêtes contre du vin et de la bière, et tous mangèrent de la viande grillée sur le rivage, accompagnés des chants et des danses des pacifiques indigènes.

Le voyage se continua dans une région aride et peu habitée. Le Nil fit deux grandes courbes dans un défilé de granit, puis les falaises devinrent des collines, le paysage redevint plus accueillant, les villages se multiplièrent, annonçant la proximité d'une ville importante. Le gouverneur de Kalabchah descendit à terre pour se rendre avec son escorte en haut d'un piton rocheux sur lequel était bâtie une forteresse, dernière garnison avant Pakhoras. Mais il n'y trouva que des gardes, le commandeur s'étant déjà rendu au palais du Vice-Roi pour accueillir le Pharaon. Plus l'échéance approchait, plus mon cœur gonflait comme un fruit mûr. Je redoutais avec angoisse de découvrir en mon frère un étranger pris par les devoirs de sa charge et les habitudes des honneurs et des richesses.

La campagne s'étendit un matin aussi belle qu'à Thèbes. Les falaises s'étaient éloignées, semblant vouloir copier à l'ouest la chaîne thébaine pour y abriter quelque sépulture, tandis qu'à l'est la plaine verdoyante était cachée par l'enchevêtrement des arbres, des dattiers, des tamarins, ponctués des belles couleurs rougeoyantes des flamboyants.

Deux mois après notre départ de Thèbes, nous joignîmes enfin Pakhoras.

Le palais du Vice-Roi s'allongeait le long du fleuve, ordonné de nombreux bâtiments peints d'un bleu qui les faisait se confondre avec le bleu du ciel. Une longue colonnade blanche suivait le rivage, éblouissant les yeux du voyageur. L'immense jardin fleuri, parsemé de bosquets multicolores, était enclos d'un haut mur de briques à renforts formant une muraille en demi-lune contre le Nil, et tout autour avaient été creusés de larges fossés comme un canal, mais avec la paix retrouvée, plusieurs ponts flottants prolongeaient les portes principales de ce complexe grand comme une ville, car dans les murs, comme en un temple, avaient été construits les magasins, les cuisines, les entrepôts et les fabriques nécessaires à la vie du palais. Au faîte des hauts mâts des portails, mon frère avait fait monter les couleurs du Pharaon, les oriflammes rouges, bleus et or qui flottaient au vent brûlant du sud.

Devant les couleurs de nos navires, la garnison de Pakhoras nous laissa passer, et tous flairaient le sable du rivage. Plus loin, du haut du portail du palais résonnèrent une multitude de trompes dont les échos se perdirent dans les lointaines falaises illuminées par le soleil matinal.

J'étais sorti de la tente royale, et sur ce navire qui nous suivait, je vis la Reine et ses familières, debout sur le pont dans la chaleur déjà étouffante de l'aube. Nous accostions au quai que les Nubiens avaient creusé dans la terre noire, et nous étions comme au pied d'un grand mur tant le Nil était bas, et je pensais que la bonne terre apportée par les crues était à elle seule le meilleur des remparts contre d'éventuels assaillants. Plaquées de calcaire blanc, des marches aménagées dans cette falaise de terre donnaient directement dans la cour d'accueil du palais. Je n'arrivais pas en habit de cérémonie, n'étant vêtu que d'un pagne blanc, mais toute la cour de Koush était là, en costume d'apparat comme pour un grand banquet. Et mon cœur se réjouit en apercevant mon frère. Il avait revêtu ses attributs princiers : sur la grande robe blanche, les colliers et les pectoraux royaux brillaient face au soleil, et sur la perruque tissée d'or et poudrée de lapis un cercle d'or portait une plume d'autruche à la mode nubienne. En vérité il était tel un Roi, je n'étais plus qu'un prêtre devant lui et cela me conforta dans l'idée d'en faire un jour mon co-régent. Sa femme et sa famille l'entouraient, ainsi que tous les courtisans de Pakhoras, les dignitaires, les officiers, le gouverneur Penno, les scribes et les princes nubiens.

Je m'approchais de mon frère et lui dit, parlant bas pour que nul n'entende :

« – Voici que j'arrive comme un prêtre, et toi tu es comme un Roi. Maât peut réclamer son tribut, l'Égypte ne sera pas abandonnée des dieux. »

Avant que j'aie pu le relever, il était sur le dallage, enlaçant mes jambes de ses bras et baisant mes sandales. Et tous se prosternaient au sol. Je les laissais faire, pensant qu'il était bon de montrer aux prêtres de ma suite combien m'étaient fidèles les plus grands du royaume. Et les Nubiens devaient comprendre que j'étais un souverain bien plus puissant que leur maître. Lorsqu'il se fut relevé, je lui donnais la main pour qu'il me mène en son palais. Mais sur le seuil il s'arrêta, et devant toute la cour il dit :

« – Il ne convient pas que Mon Seigneur entre sous mon toit plus humble qu'un prêtre alors qu'en mon cœur il est un dieu. Que Ta Majesté me permette de te faire maintenant le présent que je te réservais pour ton départ. »

Il fit un geste vers un officier qui revint promptement avec des suivantes de Taemmadji, elle-même chargée d'un coffre d'ébène incrusté d'ivoire. Et c'était comme un coffre funéraire digne d'une maison d'éternité. Il dit :

« – Ce coffret précieux renferme le plus beau bijou qu'il m'ait été donné de contempler. Le plus grand orfèvre de Thèbes est venu sur ma demande, travailler l'or de Koush. Mon épouse aimée en a suivi la conception et la fabrication. Ton frère devant les dieux t'en fait présent en témoignage de sa fidélité et de son amour. »

Les suivantes ouvrirent le coffret et ce que je vis ravit mon âme et mon cœur, car c'était en vérité la plus belle œuvre d'art sortie des ateliers de l'Égypte : un diadème royal, simple et somptueux, fait d'or finement sculpté, incrusté de cornalines et de lapis. Le grand cobra royal se détachait du front et son corps d'or ondulé, amoureusement ciselé, épousait la ronde forme du crâne en arc de cercle, comme au-dessus d'un invisible casque, et la queue du serpent descendait le long du cou comme un ruban doré. Sur le front du diadème, à côté de l'uræus¨ d'or se tenait le vautour Nekhbet, symbolisant ainsi la puissance du ciel tandis que le serpent Outo retenait toutes les forces d'en bas. C'était le plus beau présent qu'on me fit, et je ne sus que dire. Un silence d'émotion flottait sur l'assemblée, et je savais qu'il me faudrait le rompre moi-même, car en pareille situation nul n'aurait pu parler avant le dieu vivant d'Égypte. Mais le dieu qui était en moi prenait plaisir à prolonger ce silence, les yeux dans les yeux de mon frère, et plus le temps passait plus le silence se transformait en gêne pour les courtisans et les prêtres tandis qu'il devenait comme un langage des dieux pour nous deux. Je n'eus pas à parler, ce que je désirais mon frère le comprit sans les mots de ma bouche, il prit le beau diadème et lentement, comme pour une cérémonie sacrée, lui qui n'était pas prêtre, il le posa sur la tête de son Pharaon, et c'était comme Thot quand il couronne Amon, et je lui pris les mains, j'approchais mon visage de son visage et posais mon nez contre son nez pour respirer son souffle comme s'embrassent les dieux, car en vérité je savais qu'il y avait un dieu en lui comme il y avait un dieu en moi :

« – J'emporterai ce gage d'amour dans mon éternité. »

Alors tous agitèrent leurs bracelets, les soldats crièrent les louanges de leur Pharaon, et les Nubiens firent avec leur langue d'étranges cris stridents comme les cris de leurs danseuses quand elles reçoivent des récompenses.

Avant d'entrer dans la demeure de mon frère, j'aperçus sur le seuil un petit garçon dont la mèche rituelle pendait sur le côté du crâne rasé, à la mode des princes de Thèbes, et ce petit enfant qui devait avoir un peu plus d'un an, le doigt dans la bouche, me souriait sans baisser les yeux, ce qui me fit verser des larmes. J'avais remarqué que Taemmadji était enceinte, mais je ne savais pas que mon frère eut déjà un fils. Il n'avait pas voulu me faire de la peine après la mort de l'enfant d'Aube.

Pendant notre séjour à Pakhoras, la Reine passa tout son temps aux côtés de Taemmadji, s'occupant de l'enfant et veillant au confort de la future mère. Je décidais de rester en Nubie jusqu'à la naissance du deuxième enfant de mon frère.

 

 

Un matin, Houy vint me chercher pour aller visiter le nouveau temple, comme nous en avions convenu la veille. Il m'en dit en avoir suivi les travaux comme s'il s'était agi de l'édification de sa propre tombe pour l'amour de son souverain, car ce fut pour lui le seul lien spirituel qui lui restait avec moi. Je ne m'étonnais plus de voir que nous étions si semblables. Il entra dans ma chambre ce matin-là, mais je ne dormais pas, pourtant j'eus l'envie de garder les yeux fermés afin de goûter l'instant magique où ce dieu qu'était mon frère viendrait poser sa main sur mon visage pour m'éveiller. Mais ce grand soldat qu'il était resté n'osa pas poser la main sur son souverain, et il resta longtemps penché sur mon visage, je sentais son souffle, et ce fut comme s'il était venu me veiller quand les dieux me gardaient en leur sombre nuit, après la bataille de Palmyre. J'ouvrais les yeux, et ce fut lui qui fit ce matin-là, prenant ma main comme si nous étions deux enfants, loin du protocole et de la cour. Nous n'eûmes rien à nous dire, je ne m'étonnais même plus qu'il y eut tant de liens entre nous, plus forts que l'amour que j'avais pour Aube qui m'était pourtant tout au monde, lui m'était un dieu et il me faisait dieu par delà l'éternité, nous devenions intemporels en ces moments de bonheur pur.

Sans dire un mot, sans même nous sourire, nous quittâmes le palais avant le lever du soleil. La fraîcheur des nuits de Nubie faisait encore frissonner nos corps, mais nos esprits liés comme nos mains ne tendaient qu'au merveilleux temple qui scellait notre dualité.

Le grand pylône de l'entrée se dressait derrière le palais, du même côté du fleuve. Les pierres orangées par les premiers rayons de l'aube ne présentaient encore ni dessin ni bas relief. Les murs étaient lisses, aucune inscription ne permettait encore de prononcer le nom du dieu qu'on célébrerait en ce sanctuaire. Le temple était bâti légèrement en surplomb de la rive, afin que la crue du Nil arrive juste au niveau de l'entrée, tandis que des marches de calcaire fin descendaient jusqu'au quai à la période des eaux basses. Le pylône semblait être le prolongement naturel de la berge, faisant comme une falaise inclinée. Derrière le portail, la cour péristyle s'ouvrait, large, bordée de colonnes aux chapiteaux ouverts en corolles, comme de grandes fleurs épanouies au grand jour. Le sol était dallé de belles pierres blanches, nous t marchâmes pieds-nus, laissant nos sandales d'or au seuil du temple. La première salle à colonnes donnait sur la cour par un portail aussi grand que le premier. Les chapiteaux, ouverts sur la façade, étaient fermés à l'intérieur, comme de grandes fleurs qui ne s'épanouissent qu'à la lumière du jour, tandis qu'elles restent en boutons, avec leurs espoirs de renaissances, près de secrets du sanctuaire. Une deuxième salle hypostyle, très sombre et fraîche comme un tombeau, prolongeait la précédente. Les colonnes, plus fines, plus élancées, étaient délicatement façonnées comme des tiges de lotus liées ensemble, et leurs chapiteaux fermés se perdaient dans l'ombre, en haut des fûts déjà colorés par les peintres qui n'avaient pas eu à poser de nom sur leur ouvrage. Au fond du temple, dans la nuit complète, le sanctuaire était fermé par une splendide porte d'ébène cloutée d'or aux pentures d'argent. Houy l'avait fait faire par les artistes de la Reine de Koush, aidés des sculpteurs thébains, et l'ouvrage était un mélange de délicatesse égyptienne dans la décoration, et de force sauvage dans la taille et la sculpture des matériaux. Les plans des temples, sur les papyrus ou les plaques de calcaire ne sont que des idées et des calculs. La réalisation d'un édifice dépend des architectes, des chefs de travaux et de chaque ouvrier qui s'y applique. La proportion des pylônes peut être trompée par une gorge trop large au faîte ou des peintures démesurées sur les murs, rabaissant à l'œil la hauteur des portes. Mais e temple était un joyau aussi fin que le diadème qui couronnait mon front. Mon frère ouvrit les lourdes portes d'ébène. Le sanctuaire était éblouissant du soleil matinal, car si les murs avaient été élevés des quatre côtés, ils ne supportaient encore aucune dalle du toit, et ainsi à ciel ouvert il faisait comme un sanctuaire dédié à Aton, du temps de la Ville de l'Horizon. Je ne m'y attendais pas et cela mit un peu de triste nostalgie en mon cœur. Au centre de la pièce se dressait un immense bloc de diorite foncée. La pierre était brute, sans veine ni fissure, elle avait été déposée là pour que les sculpteurs sacrés puissent donner naissance à leur œuvre au sein même du sanctuaire, loin du regard de tous mais à la lumière du jour. Lorsque la statue du dieu serait terminée et que les fresques seraient achevées, les poseurs des lourdes dalles du toit pourraient clore à jamais ce sanctuaire sacré. C'est sur cet énorme rocher dont sortirait bientôt un dieu qu'il me faudrait inscrire rituellement le nom de celui à qui serait dédié ce beau temple de Pakhoras. La face arrière de la pierre était plane et lisse, prête à recevoir les premiers mots sacrés qui la consacrerait, quel que soit le dieu choisi. Et le nom inscrit par mes mains et prononcé par ma bouche serait repris par le Vice-Roi et par les prêtres afin que tous sachent quel serait le nouveau dieu protecteur de la Nubie. Tous savaient déjà que ce ne serait pas Amon, car j'avais laissé à Thèbes le Premier Prophète, et la rivalité qu'il y avait entre le Pharaon et le vieux Ayï était connue partout en Égypte.

(… à suivre …)


¨ Uræus : nom grec du cobra porté au front par les dieux à caractère royal. Assimilé à l'œil de Rê, il protégeait le Roi. Le Cobra était considéré comme le gardien du Pharaon car les anciens Égyptiens croyaient en la vigilance du serpent dont les yeux sont dépourvus de paupières et de ce fait plus en éveil contre le danger.