La Grande saga des marchés financiers (suite)

A la fin d’un article du même nom, paru en juillet dernier, je vous avais promis une suite. Les petits nouveaux trouveront l’article en question ici : http://www.come4news.com/la-grande-saga-des-marches-financiers-36778
Ils pourront ainsi rigoler autant, je l’espère, que nous, en juillet dernier.

Résumé des épisodes précédents : Après l’euphorie de 1990, et le sacre du système capitaliste comme seul modèle économique viable, on se serait attendu à un monde toujours plus juste, toujours plus beau, toujours plus riche. Nous avons pu voir qu’il n’en a pas toujours été ainsi (mais que globalement, tout marche bien).
Bien sûr, nous avons connu l’explosion de la bulle internet à la fin de la saison 2, la timide reprise de la saison 3, la grande crise, saison 4, puis la reprise, et la nouvelle crise des états sur-endettés…
Mais tout celà, c’est du passé, et l’avant-première de la saison 5 laissait présager des lendemains meilleurs.
L’article précédent s’arrêtait au 20 juillet 2011.
C’était l’époque où les grands de ce monde se concertaient en vue d’organiser la sortie de crise que nous attendons tous.

Et maintenant, la suite…

Saison 5 : la zone Euro en ordre de bataille

Episode 1 : stabilisation sur le front des marchés et convalescence.

Comme promis en avant première, la situation s’est stabilisée pratiquement d’elle même, les marchés étant, je vous le rapelle, efficients et auto-régulants.Les CAC40 n’est pas descendu en dessous des 2700 points, comme prévu (il s’en est fallu de peu, mais j’ai gagné mon pari. Chic, c’est mieux que le tiercé…). Il a fait un bon moment le yoyo entre 2700 et 3300 points, et puis, nos brillants dirigeants ont trouvé une solution. Que dis-je, LA solution. Ca s’est passé le 27 octobre dernier, exactement.

Episode 2 : le sauvetage de l’Euro

En ce jour historique du 27 octobre 2011, trois importantes décisions sont prises, des décisions qui marient à la perfection audace, originalité, et responsabilité :

1/ La dette Grecque est restructurée. On ne donne surtout aucune explication, en espérant que les gens ne savent pas ce que "restructurer" veut dire.

Juste pour rire : "Restructurer" signifie généralement "ne pas payer" tout ou partie de la dette. Dans le cas présent, il s’agit d’un non-remboursement de 50% de la dette Grecque. Pourquoi ne dit-on pas défaut de paiement partiel, me demanderez-vous ? D’une parce que "restructuration" fait plus classe. De deux parce qu’une banque Américaine a acheté des CDS sur la dette Grecque (CDS = Crédit défaut Swap, c’est en gros une assurance contre les défauts de paiement de la Grèce). Naturellement, cette banque cherche à provoquer le défaut de paiement de la Grèce pour toucher la prime d’assurance.

2/ Les banques Européennes sont recapitalisées pour 106 milliards d’euros au total. En gros, le pognon que les banques vontt perdre avec la dette Grecque, on va leur refiler sous forme d’augmentation de capital.

3/ Le FESF (fond de solidarité Européen) devient un assureur de crédit. L’idée initiale du président du sauvetage des banques était d’en faire une banque, qui serait en mesure de prêter directement aux états, dans le cas où ceux-ci ne pourraient pas se re-financer sur les marchés. On appelle ça un prêteur en dernier ressort. Cela pose un problème : le FESF doit disposer d’assez de cash pour financer un ou plusieurs états simultanément.
Finalement, ainsi que je le disais, le FESF devient un assureur, c’est-à-dire qu’il garantit les prêts émis par les états de la zone Euro. Autrement dit, on reproduit à l’échelle des états le système d’assurance des crédits hypothécaires Américains.

Juste pour rire : Pour que vous compreniez bien le problème, j’attire votre attention sur deux points importants. Le FESF ne dispose pas du cash nécessaire pour rembourser la dette de tous les états de UE, ni même de 3 ou 4… Son bon fonctionnement repose sur une hypothèse : les états peuvent faire défaut un par un, mais pas tous en même temps. Par conséquent, le FESF parviendra toujours à payer les pots cassés. Par contre, si 3, 4, 5 états coulent, le FESF coule aussi. Hors, en période de crise, il y a souvent des phénomènes boule de neige.
Les assureurs de crédit Américains, Freddy Mac et Fanny Mae ont connu ce problème en 2007. Ils avaient assuré beaucoup plus de crédit qu’ils ne pouvaient en rembourser, et tout le monde croyait que ça marcherait parce qu’il était exclu qu’un grand nombre de ménages Américains fassent défaut en même temps.

Au soir de ce 27 octobre 2011, les 26 indispensables qui nous dirigent se sont couchés avec le sentiment du devoir accompli : l’Europe était armée pour la grande reprise.

Episode 3 : la grande reprise.

A la fin 2011, les résultats des entreprises ne sont pas mauvais. Même le fleuron des télécoms Franco-Américain, Alcatel-Lucent parvient à gagner de l’argent ! Ce n’était pas arrivé depuis 10 ans. On a pourtant vérifié les comptes plusieurs fois, mais non, ils ont bien gagné de l’argent, et pas qu’un peu : 1 milliard d’euros !
Enfin bref, nos entreprises, bien managées par nos grands capitaines d’industrie ont bien traversé la crise. Elles sont presque toutes dans le vert, les marchés reprennent donc confiance. D’autant plus que les chiffres en provenance des USA sont bons. Chômage en baisse, production et PIB en hausse…
Les politiciens crient déjà victoire : "je n’aurais pas permis que la France connaisse le sort de la Grèce et de l’Espagne" hurle l’un deux dans ses meetings électoraux.

Juste pour rire : La grande reprise aura duré… 4 mois.

Saison 6 : la grande correction

Episode 1 : Quand la réalité rattrape les marchés

Entre novembre 2011 et mars 2012, le CAC 40 a monté de 15%. Près de la moitié des pertes de l’été 2011 effacées. Une croissance à la fois soutenue est raisonnable. Techniquement, on aurait pu croire que c’était reparti. Techniquement, c’était vrai, mais techniquement seulement.
Pourtant, à la mi-mars, les places boursières Européennes repartent à la baisse, et les économistes tombent des nues. Du moins, les plus mauvais d’entre eux.
L’économie a tout simplement été rattrapée par la réalité. En théorie, les plans de rigueur, vendus comme seule solution viable à long terme, réduisent les déficits. En théorie seulement. Dans la pratique, ils alimentent un cerle vicieux : baisse des salaires des fonctionnaires + baisse des effectifs de la fonction publique + hausse des impôts sur les particuliers => baisse de la consommation => baisse des salaires et destructions d’emplois dans le privé => hausse du chômage et baisse des revenus pour l’état, ce qui conduit à un nouvel accroissement des déficits, qui justifient la mise en place de nouveaux plans de rigueur.
Et ainsi de suite.
Naturellement, on nous a dit que ça aurait été pire sans les plans de rigeur. Argument qui a l’immense avantage d’être difficilement démontable, puisque ce n’est pas ainsi que l’histoire s’est écrite. On peut, nous aussi, s’amuser à donner des vérités comme celle-la. Allez, je commence ! "Si la Lune était bleue, le monde s’effondrerait. Heureusement qu’elle est jaune dis donc !"
Vous aurez compris le principe, je peux dire n’importe quoi derrière le "si la Lune était bleue", vous ne pourrez jamais prouver le contraire.
Les premiers effets des plans de rigueur sont tout simplement apparus courant mars, et comme ils n’étaient pas dans les cours, les marchés ont réagi en conséquence.
Que peut-on appeler "les effets des plans de rigueur" ? Entre autres :
La stagnation de la consommation en France et en Allemagne.
La récession en Espagne et en Angleterre.
Et bien sûr, la dégradation toujours plus rapide de la situation en Grèce.

La situation en Europe a eu des impacts -modérés- aux USA, premier partenaire commercial de la zone Euro, mais aussi et surtout en Chine. Dans l’empire du milieu, l’exédent commercial se tasse et la croissance économique ralentit, comme prévu à la fin de l’article précédent. Pour en saisir les raisons, vous devrez lire l’un de mes vieux articles : http://www.come4news.com/le-mirage-economique-chinois-753472
J’y explique que le mirage économique Chinois repose sur une monnaie sous-évaluée, ou sur un euro fort, comme on voudra. Les difficultés économiques actuelles de l’Europe font qu’il devient de plus en plus difficile pour le Chine de manipuler à sa guise les cours de l’euro. La confiance en l’euro se perd, l’euro baisse, point barre.
La Chine avait anticipé ces difficultés, et tente depuis maintenant deux ans de créer un marché intérieur, grâce auquel elle pourrait continuer son développement. L’avenir dira si cette stratégie va fonctionner. Si la consommation se maintient en occident, c’est possible, sinon, j’en doute fortement.

Episode 2 : Quand la politique s’en mêle

Dans nos régimes pseudo-démocratique, le peuple a la possibilité de voter. On l’avait presque oublié, ça… Les élections, voilà un truc qui pourrait être emmerdant : nous allons demander aux Français et aux Grecs si ils sont d’accord pour continuer à se faire tondre comme des moutons. Oui, posé comme ça, ça risque d’être non. Bon, on va essayer d’enrober ça de façon plus attrayante. On ne va pas dire "plan de rigueur", on va dire "plan d’assainissement des finances publiques" et "économies". C’est plus classe. Mais bon, c’est quand-même mieux en Afrique ! Là bas, au moins, on peut faire crever la populace de faim, et elle ne dit rien.
Enfin, bref, pour la France, on a quand-même réussi à faire voter oui à une gouvernance classique, à savoir l’un des deux partis traditionels au pouvoir. L’un ou l’autre…
Par contre, en Grèce, on dirait que ça n’a pas marché. Il faut dire qu’avec 25% de chômage et un déficit toujours abyssal, la populace est bien obligée de se rendre compte que les plans de rigueur n’ont pas l’efficacité espérée. Bien sûr, on leur promet des lendemains meilleurs, mais ça fait 20 ans que ça dure. Les Grecs se sont rendus à l’évidence, au moins pour une partie d’entre eux : ils peuvent se taper 20 ans d’austérité, le chômage n’arrêtera pas d’augmenter, le problème des finances publiques sera toujours entier, et le cartel Pasok-ND promettra toujours des lendemains meilleurs.
Cela, une partie de plus en plus importante des Grecs le comprend (il est temps, il faut croire que les Grecs sont aussi lents que les Français).
Venons-en au plus important, à savoir l’impact qu’aura le sort du peuple Grec sur les marchés.
Il est une évidence admise de longue date par les gens éclairés : la Grèce ne paiera jamais sa dette. Celà, de plus en plus de gens commence à le comprendre. En conséquence de quoi, il y a deux solutions :
1/ L’Europe laisse tomber la Grèce, ainsi que le propose plus ou moins l’Allemagne. Au quel cas, la Grèce devrait rembourser une dette astronomique, seule, et ne pourrait plus se refinancer. En gros, le seul échange entre la Grèce et le reste du monde se résumerait à des flux financiers sortants correspondant au remboursement de la dette.
En admettant que ce soit techniquement possible, pourquoi voulez-vous que les Grecs acceptent de payer bêtement leurs échéances sans aucune contrepartie ? Pour l’honneur de la Grèce pardi !
Ne riez pas, il y a vraiment des gens qui y croient.
Bon, nous, on fait de l’économie, donc, on va passer toute ces bêtises et en déduire tout de suite que la Grèce ne paiera rien.
Bien sûr, dans 2 ans, c’est au tour du Portugal, et de l’Espagne encore 2 ans après.
En perspective, un trou d’environ 2000 milliards d’euros dans les caisses des banques de la planète. De quoi nourrir quelques inquiétudes sur l’avenir du système capitaliste.
Juste pour rire : La dette de la Grèce est estimée à 1000 milliards d’euros au 2 mars 2012, et ce malgré la restructuration d’octobre. A titre de comparaison, le "grand sauvetage des banques", le "plan marshall de 2008-9" dont je parlais dans le premier article, dans la saison 3, se chiffrait à 100 milliards d’euros. Là, ce serait 1000 milliards d’euros qui partiraient en fumée. Si la contagion n’était pas évitée, le système financier mondial n’y survivrait pas.
2/ L’Europe paie pour la Grèce, au quel cas la situation financière des états Européens sera aggravée. Pas assez pour provoquer une crise, et ça nous donnerait un sursis, mais ça ne nous dispenserait pas de trouver des solutions aux problèmes structurels de la zone Euro.

En bonus dans le DVD : les problèmes structurels de la zone Euro.

Dans un état normal, avec taux de change variable, et une monnaie nationale, il y a un mécanisme d’auto-régulation très simple aussi bien en cas de déficit commercial que de déficit de l’état. Grossièrement, le voici :
1/ Déficit commercial. Ce qui signifie plus d’importations que d’exportations.
2/ La demande pour la devise nationale devient moins importante que la demande pour les devises étrangères, puisque les importateurs paient en devise étrangère (et les clients des exportateurs achètent de la devise nationale pour payer les exportateurs).
3/ La devise nationale baisse.
4/ Les produits étrangers deviennent plus chers, donc moins compétitifs, les produits locaux le sont plus.
5/ La balance commerciale se ré-équilibre.

Dans le cas de l’Europe, ce mécanisme ne peut s’appliquer qu’à l’Europe entière, et pas aux Etats. C’est la balance commerciale globale de la zone Euro qui va influencer sur le cours de l’Euro.
Donc, quand la Grèce est en déficit commercial, le cours de la monnaie ne vient pas réguler les choses, puisque le déficit des uns est compensé par l’exédent des autres, ce qui donne une balance commerciale globale proche de 0.

Pour les déficits, des états, nous avons un phénomène analogue : quand les marchés n’ont plus confiance en un état, la demande en dette souveraine de ce dernier (libellée en monnaie nationale) baisse, ce qui fait baisser la monnaie nationale, donc la valeur réelle de la dette. Phénomène qui ne se produit pas dans notre cas.

L’Euro nous prive donc d’un certain nombre de mécanismes régulateurs qui existent partout ailleurs. Ceci illustre bien que la monnaie commune n’implique pas seulement l’absence de change entre les différents états. Elle implique aussi une politique monétaire commune, laquelle ne peut pas être adaptée à toutes les économies de la zone Euro simultanément.
Un exemple sur l’économie réelle, à savoir le secteur de l’automobile :
1/ La France vends des voitures pour classes populaires et moyennes. Elle attire donc les clients en vendant des voitures d’une certaine qualité au prix le plus bas possible. Si l’euro monte, le prix de construction d’une voiture monte, et notre secteur automobile devient moins compétitif.
2/ L’Allemagne vends des voitures de luxe à des gens qui n’achètent pas une voiture pour faire des allez-retour au boulot, mais qui achètent une Audi, un Porshe ou une BMW. Par conséquent, l’euro peut toujours monter, non seulement l’Allemagne vendra autant, mais elle paiera moins cher ses matières premières, ce qui augmentera ses marges.

Vous l’aurez compris, l’Allemagne s’accomode très  bien d’une monnaie forte, la France pas et la Grèce encore moins. Or, l’euro est le même pour tous, la BCE est la même pour tous. La politique monétaire Européenne, adaptée à l’Allemagne, s’applique à tous.

Voici grossièrement le problème unique au monde, auquel est confronté notre union monétaire unique au monde. Je ne vois que deux solutions : soit trouver une solution unique au monde (mais je ne vois pas laquelle), soit renforcer l’intégration dans l’UE, c’est-à-dire contruire une union économique plus soudée qui serait telle que, au moins d’un point de vue économique, la zone Euro ne soit qu’un seul et même état. Au quel cas, on en serait ramené au cas classique.


Episode 3 : La bêtise réelle ou simulée des dirigeants Allemands

La réaction officielle Allemande aux élections en Grèce est hautement comique. On a l’impression que Merkel et sa clique sont totalement à côté de la plaque. Voici le discours, en résumé : "Nous souhaitons que la Grèce entre dans l’euro, mais il est hors de question de revenir sur les accords passés, et en particulier sur le plan de rigueur imposé à la Grèce. La décision appartient au futur gouvernement et, ma foi, si il était décidé que la Grèce ne se plie pas aux conditions, eh bien, nous supprimmerons les aides, la Grèce sortira de l’euro, tout ceci n’est pas bien grave…"
Un discours qui laisse perplexe. Soit ils sont vraiment à côté de la plaque, et ils s’imaginent que la Grèce, privée d’aide et hors de l’euro continuera à faire l’impossible pour payer nos banques, ou qu’ils peuvent à coup sûr gérer une crise Grecque en évitant toute contagion. Soit Merkel sait qu’elle a eu tord, et finira par abandonner son idée fixe de rigueur, mais veut sauver la face, et ne pas se rallier trop vite au camp d’en face.
Cette seconde hypothèse est sans doute la plus probable, ce qui laisse présager une nouvelle série de plans de relance foireux, comme en 2009.


Saison 7 : Dans le prochain article.

Résumé : Je ne suis pas devin, mais les évènements récents me permettent conjecturer le scénario suivant pour les prochains mois. Notre chère amie Merkel finira par céder, ou "les évènements nouveaux inciteront l’Allemagne à revoir sa position" ou "sensible à la souffrance des peuples du sud, elle consent à un assouplissement". Bref, peu importe le vocabulaire employé, la rigeur sera abandonnée, ce qui permettra de débloquer la situation sur le front Grec.
Autre conséquence : reprise des plans de relance inefficaces et coûteux ! Prime à la casse, subventions, plan Marshall de je ne sais quoi. Les paris sont ouverts : quel secteur le président Hollande va gaver de subventions pour sauver l’économie ?
Naturellement, toute reprise se fera sur une base malsaine, les problèmes structurels de l’euro resteront entiers, ceux des économies nationales aussi.
Sur ce, rendez-vous à la prochaine crise !

51 réflexions sur « La Grande saga des marchés financiers (suite) »

  1. [quote]isa3 a dit : Quand je parlais de « capitalisme moderne », je parle de celui mis en place apres la 2e guerre mondiale pour « contrer » le bloc communiste. [/quote]
    En fait il y a le capitalisme de 1945 pour redresser la France après la Guerre, et le capitalisme de l’après 1981 et la gabegie des dépenses ordonnancées au plan politique et au travers lequel les investisseurs et les politiques se goinfrent, en fait un capitalisme malsain qui nous mène à la ruine programmée…

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