Faire son deuil (2)

(à la manière de JM…)

Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde.

Aux si rares moments où ma pensée parvient à retrouver quelque autonomie (c’est-à-dire le soir, au moment de l’endormissement), lorsqu’elle a réussi à s’extirper de la gangue du bruit de fond si généreusement distillé par les médias, il m’arrive très fréquemment qu’elle rejoigne ceux qui sont dans le trouble, ou bien parce que quelques uns de leurs proches maniaient le crayon, ou bien parce qu’ils fréquentaient tel hypermarché, ou alors parce qu’ils s’apprêtaient à tourner une série de télé « réalité », ou bien encore à visiter un musée, ou bien (enfin ?) parce qu’ils avaient pris place à bord d’un vol transeuropéen …

Ce bruit de fond entretient (et s’entretient) régulièrement des mêmes modulations récurrentes : « Nous ne savons rien ; mais restez à l’écoute : nous donnerons la parole à nos correspondants dès qu’ils auront quelque chose à nous dire ».

 

Douze morts ici, six autres là, et dix de plus par ici, et encore vingt-deux plus loin et cent-cinquante-huit autres (enfin ?), en apothéose ! Ne serait-on pas d’ailleurs en droit de redouter les représailles auxquelles German Wings s’expose sans doute pour avoir, par une infantile gloriole, gravement insulté les champions du Prophète en dépassant leur record garissesque d’une ridicule petite dizaine et d’avoir utilisé à cette fin un moyen à la forme symbolique honnie, qui méritait tout autant la destruction que les idoles de Mossoul ou les bouddhas de Bâmiyân ?

C’est dire ce que le deuil engendre comme travail, inlassablement, jour après jour ; une performance paradoxale que nul ne peut ignorer à une époque où le chômage règne en maître incontesté !

En comptant modestement une moyenne de 8 à 10 personnes impactées par la disparition de chacune des victimes, nous voilà face à un contingent d’un à deux milliers d’endeuillés. Nous pouvons même décider (il ne tient qu’à nous) de nous poster à leurs côtés plutôt que face à leurs tristes silhouettes ectoplasmiques, confrontées à une tâche d’autant plus difficile que les paysages des décès leur sont inconnus et que les corps suppliciés leur sont plus que chichement présentés.

Parmi tous ceux là, il en est deux vers qui ma pensée vagabonde le plus souvent : les parents du trop célèbre copilote. En voilà deux pour qui la pente doit être rude ! La pente ! Pas celle jadis chère à Raffarin ; ni celle contre laquelle l’A320 s’est éparpillé façon puzzle. Mais celle qui leur permettrait de s’évader de l’abysse au fond de laquelle ils se sont trouvés précipités, encore plus violemment, si c’est possible, que les infortunés passagers !

Car si perdre son enfant est une monstruosité inacceptable parce qu’elle viole la logique de la chronologie naturelle, le fait qu’elle résulte d’un acte délibéré les soumet à un cataclysme dont ils ne se remettront qu’au prix d’efforts surhumains, dont ils sont peut-être capables à condition que l’actualité leur épargne des épisodes dont Pénélope aurait sans doute rêvé tant ils sont efficaces pour détruire instantanément l’ouvrage patiemment tissé à petites mailles.

Une situation qui se répète pourtant en moyenne une fois toutes les cinq heures dans notre pays, pour la tranche d’âge concernée. Alors s’il est bien approprié de nommer cela une tragédie, de quel superlatif pourrait-on convenir pour cette occurrence monstrueuse qui y associe cent cinquante-sept autres malheureux ?

Pauvres, malheureux, désespérés parents ; pauvre Madame, pauvre Monsieur, pauvre fratrie Lubitz au deuil tellement incertain !

Nous autres, Français (de souche et d’ailleurs) avons une telle capacité à nous plaindre encore et toujours, un art tellement consommé de nous comporter en persécutés éternels que nous parviendrions peut-être à mesurer notre bonheur et à nous en féliciter publiquement (et contagieusement) si l’idée nous venait de comparer notre sort au leur… Et si l’on s’y essayait ?

Désolé d’avoir ainsi ouvert tout grand les vannes. Je ne l’ai fait pour rien d’autre que le soulagement dont s’assortit souvent le fait de pouvoir formuler certains engorgements qui pourraient finir par étouffer, si l’on devait les condamner à rester tus.

Soyez assurés que je ne vise absolument pas un classement au Patrimoine de l’Humanité, pour « des capacités à soulager la douleur par des mots gentils ». Si c’est bien une tendance vers laquelle pencherait naturellement tout honnête homme, rien ne prouve que ces mots seraient gentils, et encore moins qu’ils se pareraient de la vertu de soulager autre chose que la douleur endogène ; et puis (enfin !), le poste aurait déjà été pourvu, à ce qu’il paraît…

Ar’vi pa

Attention : cet article risque de faire date dans l’histoire de C4N. Non pas que son insipide contenu risque de lui faire battre le record de fréquentation, toujours détenu à fort juste titre par Sophy pour les 536 115 visites faites à son « LES ÉTATS UNIS, LE COMPLOT, ET LA STRATÉGIE DU CHOC ! » ou celui du nombre de commentaires (2 285 pour « Marine LE PEN a raison », les 6 462 pour « Vos réactions à chaud sur l’actualité » devant raisonnablement être tenus hors compétition).

Mais dans ce domaine, il inaugure une innovation en incluant directement, et a priori, les commentaires. Une nouveauté qui pourrait à terme s’imposer aux auteurs tant elle constitue un substantiel progrès pour les forçats qui jusqu’à présent se sentaient tenus à la pénible obligation de lire des insanités, avant de leur dédier les quelques lignes assassines qu’elles ne méritent même pas.

Il reste qu’il reviendra au lecteur de les répartir à qui de droit ; une tâche qui ne devrait pas se révéler trop ardue pour les fidèles, mais qui aurait pu justifier qu’un jeu-concours soit organisé pour que soit attribuées quelques récompenses aux plus rapides d’entre eux !…

  • Comme d’habitude, ça dégouline de beaux sentiments. Une vraie tartine de confiture qui vous en met plein les doigts ! Un tissu de compassion, alors que les deux dernières syllabes auraient pu être avantageusement remplacées par deux autres.
  • La tolérance, il y a des maisons pour ça ! La compassion, c’est devenu un domaine réservé au sonné de l’État.
  • Katyn-Catin. Putin-Poutine.
  • Quel dommage qu’une belle plume se mette au service d’une cause aussi pâle !

Et puisque le ton en est donné, pourquoi me priverais-je du plaisir d’être parmi les premiers à faire des commentaires hors sujet ?
En remerciant comme ils le méritent Laurent Mauduit et France 5. La seconde pour avoir diffusé le 31 mars le film du premier (Tapie et la République, Autopsie d’un scandale) ; une initiative tellement utile et bienvenue pour les mémoires trébuchantes, telles que la mienne !
Bien sûr, j’avais gardé en mémoire le casting des artisans de son inespéré arbitrage en 2008 : Nicolas Sarkozy, Woerth, Guéant, Lagarde (Christine, celle de « Est-ce que j’ai une tête … ? » et non pas le plus récent Jean-Christophe), Richard (Stéphane).
Mais le souvenir du fait que l’acquisition d’Adidas, en 1990, avait été effectuée sans bourse délier grâce à un prêt accordé par le Crédit Lyonnais sur la pressante insistance du Président de la République (François Mitterrand) était quelque peu passé par pertes et profits.
De même que l’identité de l’avocat de l’affairiste, à l’époque. Et vous, vous en souvenez-vous ? A vos jeux, faites vos jeux ; les paris sont ouverts !…