Dead man walking

Dans le couloir de la mort, quelque part dans un pénitentier du Mississippi, depuis 9 ans, un homme attend.
Cet homme, c’est Sam Cayhall, bientôt 70 ans, un vieillard maigre qui fume cigarette sur cigarette, attendant peut-être que le cancer le tue avant l’Etat.

Un mois avant son exécution, son petit-fils, Adam, jeune avocat, décide de reprendre sa défense et de présenter toutes les requêtes imaginables pour offrir un sursis à Sam. Ils ne se sont pas vus depuis qu’Adam avait 4 ans, et qu’il s’appelait encore Alan Cayhall. Il y a seulement quelques années, au suicide de son père, qu’Adam a appris qu’on avait changé son nom, que sa famille avait changé de région, essayant de se libérer de l’emprise honteuse et embarrassante de Sam Cayhall.

John Grisham est un auteur très connu dont de nombreux livres ont été adaptés au cinéma: La Firme, L’affaire Pélican, Le droit de tuer?… Juriste de formation, il sait y faire pour nous présenter tous les aspects du système judiciaire américain. Bien qu’il n’exerce plus, presque chaque page de ses livres rappelle son intérêt pour la chose judiciaire.

Ce livre, "Le couloir de la mort", se focalise principalement sur les deux personnages que sont Sam et son petit-fils. Grisham nous livre un très intéressant travail de portrait, tout en nous permettant d’être aux premières loges de tout ce qui peut se tramer lors des derniers jours d’un condamné à mort. Nous plongeons également dans la putride histoire du Ku Klux Klan, dans le Sud profond des années précédant l’abolition des lois ségrégationnistes, voire après. Déjà, dans le droit de tuer?, dont un film avec Matthew McConaughey et Sandra Bullock a été tiré (le livre étant meilleur que le film), Grisham s’intéressait aux relations entre les Noirs et les Blancs dans le Sud des Etats-Unis des années 60. Apparemment un sujet qui le passionne et le taraude.

Ce qui m’a le plus intéressée dans ce livre, qui est un vibrant plaidoyer contre la peine de mort, est que le héros, celui qui va être exécuté dans un mois si aucun sursis ne lui est accordé, ce Sam Cayhall, à présent paisible petit vieillard sans défense, est une vraie pourriture. Dans l’affaire pour laquelle il a été condamné, l’assassinat de deux petits garçons juifs de 5 ans dans le bureau de leur père, militant des droits civiques, il est pourtant moins coupable que tout le monde le croit: c’est son complice qui, sans son accord, avait programmé la bombe pour qu’elle saute alors que le bureau serait occupé, et pas au milieu de la nuit comme c’était prévu. Sam ne voulait pas la mort des jumeaux Kramer, son truc c’était de faire sauter des synagogues, de brûler des croix, d’effrayer les militants des droits civiques… Sam n’a jamais dénoncé le vrai assassin et s’est laissé condamner pour le crime atroce. Mais Sam Cayhall est un raciste, un vrai de vrai, membre du Ku Klux Klan depuis son plus jeune âge, fils, petit-fils et arrière petit-fils de militants cagoulés de la lutte pour la suprématie blanche, il a tué trois autres personnes de sang-froid dans sa vie: un Noir d’un coup de fusil parce que leurs enfants s’étaient disputés un soldat de plomb, et deux autres Noirs lors d’un lynchage en famille, activité apparemment aussi anodine et impune pour lui que d’aller cueillir des framboises.

Non, Sam n’a aucune excuse et ce n’est pas quelqu’un de sympathique. Il aurait été tellement facile pour Grisham de critiquer la peine de mort encore en vigueur dans de nombreux états américains, en nous présentant le cas d’un innocent! Mais non, ici, il s’agit d’un vieux salaud, qui appelle encore les Noirs des négres…Un homme pétri d’une haine ordinaire qu’il ne cherche même pas à cacher, elle lui est naturelle, il est tombé dedans quand il était petit…

Le personnage d’Adam Hall est également très intéressant et celui à qui le lecteur peut le plus s’identifier. Imaginez en effet qu’à 20 ans passés, on vous annonce que vous avez un papi que vous ne connaissez pas! Mais pas un gentil papi gâteau qui cultive des salades dans son potager, non non, un vieux raciste ex-membre du Ku Klux Klan coupable d’un meurtre abject. Que se passerait-il dans votre esprit?

L’idée a eu le temps de germer dans l’esprit d’Adam, il a fait des études de droit et a intégré le cabinet chargé de la défense de Sam au titre de l’assistance juridique. Son but depuis le début, prendre la défense de son grand-père. Le petit a de la suite dans les idées, cet homme qu’il ne connaît pas le hante. Il faut dire que, pétri de honte et de culpabilité devant les actes de son père, le père d’Adam, Eddie, s’est suicidé et que c’est son fils qui l’a découvert. La soeur d’Eddie, Lee, a plus ou moins raté sa vie et se noie dans l’alccol. On devine très vite qu’Adam veut retrouver sa famille, mais aussi trouver des réponses à des tonnes de questions qui se promènent dans sa tête.

Les relations entre les deux personnages sont ambigues; bien entendu, les actes de Sam, sa haine raciste, son vocabulaire répugnent Adam. Mais il est farouchement opposé à la peine de mort en tant que principe, estimant que l’Etat commet un crime aussi odieux que le prisonnier en l’exécutant au nom d’une soi-disant morale. Petit à petit, au fur et à mesure de ses visites, une relation de tendresse filiale apparaît entre les deux. Sam laisse entrevoir des brêches d’amour, une soif de tendresse, un désespoir vibrant, voire même des poussées de remords sincères. Adam, lui, en côtoyant cet homme qu’il aime et déteste à la fois, va se forger une personnalité plus forte et apprendre énormément de choses sur ses racines et son histoire, fussent-elles lourdes à assumer.

La force de Grisham consiste à entraîner son lecteur dans une course contre la montre judiciaire et humaine haletante. Je pense qu’à moins d’être un farouche défenseur de la peine capitale, chaque lecteur espère en lisant ces pages qu’Adam va réussir à obtenir ce sursis qui laisserait encore du temps à son grand-père, et du temps à Adam pour le connaître et se connaître. Grisham parvient extrêmement bien à nous faire sentir l’absurdité d’exécuter 30 ans après les faits un vieillard qui ne représente plus aucun danger pour la société, qui de toutes manières est à quelques années de sa mort naturelle, et dont en aucun cas la mort ne réparera l’abomination dont il s’est rendu coupable, sauf peut-être dans les coeurs meurtris des familles des victimes. De plus, l’horreur de la chambre à gaz est bien expliquée et qu’elle puisse encore exister et être utilisée dans certains Etats semble absolument inimaginable, bien que de plus en plus l’injection létale soit préférée pour des raisons "humanistes". On en apprend également beaucoup sur les conditions de détention dans le couloir de la mort, le rôle des gardiens, les petits chefs qui rêvent d’assister à une exécution…

Un autre thème qui tient une grande place dans cet ouvrage est tout le plan judiciaire. Il ne nous est rien épargné des détails de tous les recours possibles dans les derniers jours précédant une exécution, la course contre la montre des avocats de la défense, le procureur, la politique, les médias, l’opinion publique, les chambres, les tribunaux…cette énumération peut parfois paraître longue et fastidieuse, et parfois bien répétitive, mais comment sinon se représenter la réalité de la situation, souvent tragique, parfois frôlant le ridicule?

Le couloir de la mort est un livre fort, qui ne laisse pas indifférent. Je vous le conseille vivement.

 

 

Une réflexion sur « Dead man walking »

  1. Voilà un article qui donne vraiment envie de lire ce livre, de se trouver dans cette ambiance inhabituelle entachée de criminalité et en même temps d’une morale.
    bravo!

Les commentaires sont fermés.