Dans la tête du tueur


Chaque guerre a ses héros, chaque patrie commémore ses champions, ces hommes déifiés car un jour ils ont su aller au delà des limites pour réussir un exploit. Très rapidement, ils deviennent des modèles de vertus pour les enfants, leurs faits sont glorifiés, leurs actes enjolivés et la réalité altérée, dénouer le vrai du faux devient un travail ardu. Il y a quelques semaines, les Etats-Unis ont perdu leur apôtre d’une guerre moderne, as de la lunette de visée, le roi des snipers, le dénommé Chris Kyle. Devenu une idole pour des actes qui, mis dans un contexte différent, auraient fait de lui l’un des pires criminels de ce monde, méritant la chaise électrique. La guerre a cette particularité de faire perdre la tête, les repères sont chamboulés et enlever une vie humaine devient une action conseillée.


Le 2 février dernier, alors qu’il participait à une réunion de l’association à laquelle il consacrait tout son temps de retraité, il fut abattu sur un stand de tir par un ancien soldat souffrant de troubles mentaux post-traumatiques, à Glen Rose, au Texas. Un comble pour un homme qui a passé sa vie active à se terrer sur le champ de bataille afin d’éliminer des cibles situées au loin, là où la mort est au tournant à chaque instant.  Une fin aussi ironique que celle  de Youri Gagarine qui, après avoir tourné autour de la planète, l’avoir vu d’une hauteur jamais encore atteinte à l’époque, a trouvé la mort sur un tarmac, au décollage d’un avion.


Chris Kyle s’est bâti une réputation durant ses 11 années de services, entre 1999 et 2009, avec 4 missions en Irak où il put mettre à profit sa dextérité. Sa première victime, une femme avec une grenade à la main, prête à être lancée sur des GI, aussitôt aperçue, elle se prit une cartouche là où il fallait pour la neutraliser, le début d’une longue série. Son haut fait se passe en 2008, à Sadr City, alors qu’un irakien s’apprêtait à tirer sur un convoi américain au lance-roquette, ni une ni deux, il sortit son fusil et d’un tir de 2 kilomètres, il logea une balle entre les deux yeux de son ennemi. Pour ses adversaires, il était considéré comme le « sheitan de Ramadi », une ville où il tua plus de 40 personnes en une seule journée, préservant la vie de ses camarades de classe. Il était tellement craint, que les insurgés mirent sa tête à prix, 80.000 dollars, mort.


Très catholique, de par ses géniteurs, il se sentait en Irak comme un chevalier du Moyen Age parti en croisade pour exterminer « ces sauvages ». L’environnement de la cellule familiale  lui inculqua également le culte des fusils de chasse et autre armes à feu. Il aimait exposer fièrement ses tatouages, le trident des Seals enchevêtré avec la croix des Templiers. Avec le torse blindé de récompenses, la Silver Star Medal, l’Achievement Medal ou encore la Valor Device Medal à son retour, le record du nombre de morts recensés en tant de guerre, un chiffre discuté oscillant entre 150 et 255, il était devenu « the Legend ». Tout naturellement, quand ses 38 bougies furent soufflées, il prit congé avec pour seul regret, celui de ne pas avoir tué assez d’ennemis. Dès lors, il mit sa vie par écrit et publia American Sniper, le livre devint un best-seller, une adaptation au cinéma est d’ailleurs en cours de négociations. Il ne voulait pas que Matt Damon incarne son rôle, le jugeant comme un gauchiste militant contre le port d’arme, lui préférant Bradley Cooper. Populaire et aimé, il participa à une foultitude d’émissions de télévision, ces fameux talkshows à l’américaine où, ce qui semble inopiné, a été préalablement scénarisé.


Une mise au repos officiellement voulue pour passer plus de temps avec sa famille mais officieusement, monsieur commençait à perdre le sens de la réalité et se croyait de plus en plus dans un jeu vidéo. Il profita de son temps libre pour fonder la Craft International, une association devant former les jeunes soldats à l’art du sniper, puis en 2009, il mit sur pied une compagnie de sécurité. Ses entreprises connurent un grand succès et les tentatives de récupération politique ne furent pas rares. D’un geste, il les repoussa ne voulant s’acoquiner avec des politiciens qu’il considérait comme des escrocs, sans distinction, aussi bien chez les Démocrates que chez les Républicains.  


De plus, il créa la Fondation Fitco Cares dont la mission était de réinsérer les militaires revenus du front dans la société. Les faire rentrer dans le moule, faciliter la déconnexion pour que progressivement ils ne conçoivent plus la vie comme une pétardière. L’association de bienfaisance avait pour habitude d’organiser des week end festifs avec des animations dans les ranchs des membres, eux aussi vétérans. 


Cette fois, ce fut la fois de trop,  Eddy Ray Rowth, 25 ans, ancien membre des Marines, retourna l’arme vers celui qui l’avait recueilli et fit feu. Le héros de la patrie succomba, ainsi que son ami, Chad Littlefield, qui l’accompagnait. Son forfait accomplit, Eddy prit la fuite, rentra chez lui,  repartit pour faire des emplettes et après une course poursuite avec la police, se fit arrêté. En l’instant de quelques heures, il entra dans la liste des personnes à haïr, telles que Lee Harvey Ostwald, John Wilkes Booth ou encore Mark David Chapman, à croire que les noms en 3 parties portent malheur. L’histoire ne dit pas si Eddy toucha la prime fixée sur la tête du démon des insurgés, ni si Eddy était peut être un agent infiltré.