Corse : 17 homicides à l’année

Avec l’assassinat du président de la chambre consulaire de commerce de Corse-du-Sud, on en est à combien d’homicides dans l’Île de Beauté, en gros, par année ? 16 ou 17 ? 103 ou 104 depuis 2007 (sans compter la centaine de tentatives) ? En cette fin d’année finissante, déjà 17, 18 ou 19 (17 selon Le Parisien qui a pompé une déjà vieille carte de Corse Matin) assassinats ou tentatives (neuf), et il semble qu’il n’y ait guère que la pointe nord du Cap Corse et la proximité du Cap Pertusano (en-dessous de Porto-Vecchio) à être épargnées cette année. Par rapport au nombre d’habitants, la Corse est la zone criminogène par excellence en Europe (hors, peut-être la région de Moscou), surtout si l’on ajoute les blessés (une demi-douzaine depuis janviers) par balles ou autres munitions. Valls et Taubira n’y pourront sans doute, pas davantage que leurs prédécesseurs, rien.

On emploie des flics continentaux ? C’est l’omerta ! Des insulaires ou des fonctionnaires trop longtemps en poste ? Fuites éventuelles quasi-assurées ! La dernière victime tenait l’enseigne Ecce Homo à Ajaccio, et il s’agissait du président de la CCI (l’industrie corse, hors bâtiment, c’est quoi au juste ? L’importation de produits alimentaires « corses » de l’étranger ?) de la Corse-du-Sud, Jacques Nacer, 59 ans, secrétaire général de l’Athetic Club Ajaccio (football).
Jacques Nacer, comme Me Antoine Sollacaro, connaissait bien et fréquentait l’ancien dirigeant nationaliste Alain Orsoni, comme beaucoup, beaucoup de monde en Corse.
L’un de ses prédécesseurs à la CCI, Gilbert Casanova, avait été poursuivi, en 2003, pour faillite frauduleuse, et défendu par Me Sollacaro, qui laissait entendre que l’homme était entré par effraction « dans le monde fermé de la bourgeoisie ajaccienne. » Ambiance.
Il faut croire qu’on peut aussi en sortir… les pieds devant, abattu par un encagoulé connaissant son métier.

On va donc assister, à Ajaccio sans doute, à une visite précipitée de Valls et Taubira, sommés par Jean-Marc Ayrault de se rendre en Corse sans délai (ils étaient attendus en fin de mois), lesquels prononceront les habituels discours de fermeté. Comme leurs prédécesseurs depuis bien avant Chevènement et Joxe.

Échec prévisible

Pourquoi donc parviendraient-ils à faire mieux que par le passé ? De par la qualité de leurs coups de menton ? Valls et Taubira seront donc, selon la préfecture de Corse-du-Sud, dès 9 heures à Ajaccio et devant des micros vers 10 heures. Il nous sera au moins épargné les détails sur leurs atours, escarpins ou chaussures.

Me Paul Sallacaro, fils de Me Antoine Sallacaro, ancien bâtonnier d’Ajaccio, met en doute l’intégrité de la Jirs de Marseille, en appelle à l’IGS, et se refuse à se porter partie civile sauf si l’enquête serait menée « par une police normale »… soit une « juridiction ajaccienne ». Il resterait donc quelque chose de normal en Corse. Oui, paraît-il, à Bastia, le délai moyen de jugement devant le tribunal administratif. C’est déjà cela.

Dans les deux cas, et beaucoup d’autres, aucun renseignement exploitable ne sera sans doute à la disposition des enquêteurs « comme, hélas, dans de nombreux dossiers qui dorment depuis des années dans les tiroirs de la juridiction marseillaise », résume Corse Matin. Que de la juridiction marseillaise ?

Dominique Bucchini, président de l’assemblée corse, a une nouvelle fois dénoncé récemment « les clichés scandaleux » de la presse continentale. Comme par hasard, il en appelle à l’État. Tutélaire ? Ou partenaire ? Mais de qui ? D’une assemblée qui crée postes et emplois selon des procédures de recrutement opaques ? Ce qui découlerait de leur méconnaissance ?

Des universitaires de Borgo ont pondu un nième rapport de mission « de réflexion stratégique ». Lequel ressemble à un compromis destiné à ne fâcher personne, ni les aspirations autonomistes ou nationalistes, ni les positions inverses.

La vérité est que la plupart des élus corses veulent tout et son contraire, soit plus d’implication de l’État, surtout financier, et beaucoup moins de contrôles (idem). Le constat est le même depuis la mission d’étude de Jean Glavany et de sa commission parlementaire, en 1998.

Le syndicat policier Synergie officiers soutient qu’une des clefs est la tolérance zéro pour « en particulier » les infractions « commises par les élus [ndlr. corses] dans l’exercice de leurs fonctions. » Cliché continental scandaleux ?

Bien évidemment, une large majorité de Corses de Corse (jeunes chômeurs, retraités revenus au pays, agriculteurs des montagnes, fonctionnaires…) n’approuvent pas du tout le clientélisme auquel ils sont parfois réduits, pas plus qu’ils ne peuvent savoir forcément qui fait quoi et pourquoi dans des affaires criminelles ou de malversations financières. De même, tous les homicides, toutes les tentatives, ne découlent pas de règlements de compte d’un milieu ou d’un autre : la Corse n’est pas exempte de crimes passionnels, de coups de sang…

Double discours ?

Quand Dominique Bucchini se voit indiqué l’exemple de l’Italie, ou le fisc allié à la police frappe de plus en plus fort, il répond à Corse Matin : « les compétences régaliennes incombent à l’État. ». Certes. À moi les inaugurations, à l’État d’endosser l’impopularité ?

Jean-Jacques Panunzi, président du conseil général sudiste, veut bien que le rôle régalien de l’État soit plus marqué, mais, attention, « il ne faut pas que la situation se transforme en cauchemar pour la population. Il faut éviter de se diriger vers le tout sécurité ».

La Corse aux Corses ? Bah, c’est un peu comme « Les Français d’abord », et les hôteliers-restaurateurs corses, comme ceux du continent, préfèrent embaucher, pour leur saison, des saisonniers allogènes, car les autochtones ont la prétention insoutenable de vouloir au moins travailler au smic horaire, et que la législation sur le travail soit un tant soit peu respectée.

Les Corses veulent qu’on respecte leur littoral ? C’est après l’histoire dite de la paillote de Chez Francis (qui a coûté son poste au préfet Bonnet et des promotions différées à des gendarmes), en avril 1999, que les opinions favorables au séparatisme passent de 6 à 10 %, puis à 14 %. La paillote, construite illégalement, est incendiée, pas trop légalement non plus. Mais à peine 20 à 40 % de l’électorat de Fernu a Corsica ou de Corsica Libera est favorable à l’indépendance, selon l’Ifop. Eh, il faudrait savoir…

Le FNLC reconstitué (juillet dernier) avait annoncé renoncer à la levée d’impôt (de contributions obligatoires à la cause), et à ne faire usage d’une « force légitime » que parcimonieusement. La mystérieuse organisation envisageait une sortie de crise « porteuse d’une paix durable et non pas armée. ». Il semblerait pour le moins hasardeux d’imputer le dernier assassinat automatiquement à des nationalistes.
Des crimes non liés à des motivations économiques (trafics, dont d’influence, racket…) peuvent intervenir et ceux qui s’y livrent, ou les commanditent, n’ont pas forcément d’appartenance actuelle ou passée, si ce n’est de loin, avec les milieux nationalistes.

Arrivés ce matin à la première heure (vers 00:50) Manuel Valls et Christiane Taubira ont tenu une première réunion avec des responsables de la police et de la gendarmerie. Ils diront sans doute que la population corse est la première victime, annonceront des renforts, une meilleure coordination.
Ce qui semble évident – mais pourrait être démenti par les faits ultérieurs – c’est que lorsqu’en un mois, deux notables, fort en vue, un avocat qui n’était pas que pénaliste, un édile consulaire, sont abattus, des intérêts financiers étaient en jeu.

Valls et Taubira vont serrer beaucoup de mains… Sans doute pas aux terrasses de cafés ou dans la rue. La Corse n’est pas en tête nationale pour la criminalité en général. Mais question malversations et assassinats, c’est tout autre chose. Et ce sont des syndicalistes, des patrons, des notables qui sont à présent prioritairement visés.
Cela passe au-dessus de la tête de la population. Qui contemplera peut-être avec une muette suspicion celles et ceux avec lesquels les ministres poseront pour la photo…

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

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