Chronique Turque épisode 1 : vers une normalisation démocratique?

La Turquie prendrait elle la voie d’une « normalisation » démocratique ?

Aux regards des dernières évènements qui ont secoué la vie politico-militaire de la Turquie, c’est la question qu’on peut se poser. En 98 ans d’existence, jamais ce pays n’avait vu une chose pareille. Le 29 juillet dernier, une vague de démissions au sein de l’armée a littéralement décapité le pouvoir militaire en place. Le pays le plus européen d’Asie est enfin libéré d’une armée trop présente

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Une séparation floue.

 

Depuis près d’un demi-siècle, l’armée était devenue incontournable dans la vie politique turque. Auto proclamée « garante de la laïcité », les militaires ont utilisé l’héritage Kemaliste pour fomenter à 3 reprises (1960, 1971 et 1980 ) des coups d’états.

Tradition héritée de ce passé tumultueux, le pays s’était habitué à voir l’armée s’arroger un droit de regard sur la vie publique, n’hésitant pas à , en un sens, orienter la volonté populaire . « L’aboutissement de cette logique est la version initiale de la Constitution sécuritaire de 1982, qui fait de l’armée et des grands corps (cour constitutionnelle, hiérarchie judiciaire, diplomates, recteurs) de véritables acteurs politiques, installés dans les principaux rouages de l’État pour surveiller, voire superviser l’action du gouvernement civil. C’est ce système où l’armée est au pouvoir mais ne gouverne pas directement, qui est en train de vivre sans doute ses derniers instants avec la démission du général Koşaner. » (source l’Observatoire de la vie politique Turque)

Notons que, malgré l’appartenance à l’OTAN et les longues négociations avec Union Européenne qui avaient permis une séparation plus nette des pouvoirs, la séparation entre l’armée et le gouvernement civil restait on ne peut plus floue. Jouant la carte de la sécurité intérieure ( guerre contre les rebelles du PKK, frontière commune avec l’Irak…) les militaires avaient su se protéger des changements importants dans la société turque, au point que la notion de démocratique flirte souvent avec un nationalisme exacerbé.

 

Aboutissement.

 

Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette démission collective n’est que l’aboutissement d’une série d’évènements.

Les séries de réformes menées par le gouvernement de l’AKP a énormément réduit l’influence de l’armée. Malgré les interventions des militaires dans le déroulement de l’élection présidentielle de 2007, et les tentatives judiciaires pour faire interdire le parti, le gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan, a réformé la justice militaire en 2009. Ce qui a permis à des juges civils de juger des militaires pour complot contre le gouvernement, mais également aux tribunaux civils de juger des civils pour des délits qui relevaient antérieurement du code pénal militaire. Cette réforme, dont le texte a été annulée par la Cour constitutionnelle en janvier 2010, aura permis aux tribunaux de droit communs d’engager des poursuites contre des militaires.

 

Le résultat est visible avec les affaires Ergenekon et Balyoz. Ces affaires, qui déboucheront sur un procès, mettent en cause l’armée dans une tentative de coup d’Etat contre le gouvernement Erdogan.

« plus de 40 généraux des forces armées, soit un dixième du commandement, sont actuellement aux arrêts et plus de 200 officiers ont été placés en détention provisoire. Tous sont soupçonnés d’avoir fomenté divers complots visant à renverser dès 2003 le gouvernement du Premier ministre Tayyip Erdogan, qu’ils considèrent – lui et ses partisans – comme de dangereux islamistes. » (source Courrier International)

 

Même si c’est à la justice d’étudier ces accusations en détail, il est certain que cela ne manquera pas de porter un coup sérieux à la crédibilité des militaires. En effet, après cette vague de démissions, leur attitudes face aux juges « ne semble faire aucun doute et consistera à jouer les victimes d’un gouvernement vindicatif. » estime Christiane Schlötzer du Süddeutsche Zeitung.

 

« normalisation » démocratique ?

 

S’il est vrai qu’on peut se réjouir de la prise de conscience turque quant à la place de l’armée dans une démocratie moderne, nous devons tout de même rester vigilant. Les forces armées d’un pays n’ont jamais été ni un erstaz de gouvernement ni un erstaz d’opposition. Cela dit,cette dernière n’a pas beaucoup de poids et au regard des derniers événements, l’AKP assoit, sans problème, sa domination sur la vie publique.

 

Sans pour autant jouer sur des peurs bien occidentales, il serait bon de se souvenir que le parti d’ Erdogan est un parti conservateur au socle islamiste. L’attitude du Premier ministre, emprunte d’autoritarisme, peut en inquiéter plus d’un et ce séisme au sein de l’armée ne fait guère l’unanimité chez les Turcs car pour certains la présence d’une armée forte a toujours été la garantie de la stabilité de la république.

 

Aujourd’hui l’héritier de l’Empire Ottoman a conscience qu’il est arrivé à un point crucial de son destin. Autant d’un point de vue diplomatique que sur le plan de l’avenir de ses alliances. J’ose espérer que les mois à venir concrétiseront cette avancée démocratique et par la même occasion permettront à la Turquie d’accélérer le processus d’adhésion à l’Union Européenne, qui, pour l’heure, est remis aux calendes grecques…

 

 

Sources : Courrier International et Observatoire de la Vie Politique Turque