Carnaval en terres de Roussillon.

 

Carnaval quand tu nous tiens ! Tu es une période de joie et de liberté ou les règles de vie normales sont suspendues et où chacun fait un peu comme il lui plait. Ne dit-on pas en catalan, « A carnestoltes tot si val ? », et en français, « Pour carnaval tout est permis… ? »

Tu es un monde a l’envers : l’homme polichinelle et pantin de comédie s’y déguise, sort chanter et danser et défiler et s’extravertir, et s’empiffrer de tout ce qu’il veut.

Au plus froid de l’hiver, les masques insolents de Carnaval, réminiscence païenne, effigies de Satan, de Mordoch, de Belzébuth, de Gilgamesh, de Bélial, des Satyres, de l’Antéchrist et de l’Ange exterminateur, envahissent, au son de la chamade initiant des chamaillis, les rues chamarrées, ou bien l’ours adultérin poursuit les femmes et les enfants, tout un temps des temps dans l’immensité des temps, avec des boudins, chair et sang mêlés aussi noirs que son museau, avant que, par les hommes sacrificateurs, il ne soit finalement encerclé, attrapé, ligoté, bâillonné et rasé, tout comme sera immolé, en place publique, le Roi menant grand train dans son défilé, marginales symboliques d’iniques rendus de justice matérielle.

Ce sont l’Univers des fous et les instants sublimes de la purification par le feu, les êtres ineptes se voulant retrouver immaculés et parés de pureté transcendantale en brulant le clocher scandant l’heure du sabbat, le spectre de transgresseurs, sur le bucher de l’inquisition, afin de se présenter, devant l’Éternel et les Déités aux images taillées, sans tache.

Le carnaval(1), appelé aussi, en catalan, « temps de carnestoltes », « carnestoltes » ou « darrers dies », un espace de divertissements publics précédant l’époque d’austérité et de pénitence du Carême, tire son origine d’anciennes célébrations païennes de l’hiver très antérieures à la naissance du Christianisme, des dionysiaques grecques, des saturnales romaines par l’utilisation de masques et l’échange des rôles entre les nobles et les esclaves durant ces jours, ou des mots latins « carru navalis » et, ainsi, interagir avec le dieu Bacchus venu de la mer chevauchant un chariot somptueux et donnant le signal de départ des festivités célébrant l’arrivée de printemps ou faire référence au mythe d’Aset, – Isis, la déesse de la maternité et de la fertilité naviguant sur le Nil sur un bateau en papyrus -, et d’Usiris, – Osiris, le Dieu de la résurrection -.


Traditions carnavalesques en Roussillon.


Puisant dans le creuset ancestral, le Roussillon a réussi à maintenir vivantes ses traditions populaires et les fêtes qui les accompagnent. Plus vivaces que jamais, elles allient légendes, religion, folklore et convivialité.

Sur les flancs du Canigou, en Vallespir, à Prats-de-Mollo, à Arles sur Tech et à Saint Laurent de Cerdans, une curieuse légende médiévale raconte qu’une bergère fut enlevée par un ours. A Rivesaltes, depuis la fin du XIIIe siècle, le Babau, monstre mangeur d’enfants, hante toujours les esprits de la cité roussillonnaise.


La Fête de l’ours.

 

La légende veut qu’un ours ait enlevé une jeune bergère. Traqué par les chasseurs, l’ours après s’être vaillamment défendu fut capturé et la jeune fille sauvée. L’ursidé fut ramené sur la place du village où il fut rasé. Humilié mais « plus humain », l’ours accomplit alors différents travaux et tâches pour le compte des villageois.

Cette histoire est devenue un parcours initiatique, le rituel du passage à la vie adulte. Les jeunes hommes se déguisent en ours et parcourent le village pour marquer les jeunes filles en âge de se marier. Capturés par les chasseurs, ils sont lavés et rasés puis on leur apprend à danser, manger et boire au porró(2).

Pendant longtemps, partout en Europe, le 2 février était un jour de fête païenne, « le Chant de l’Ours. », une date correspondant à la sortie de tanière du plantigrade, et les européens fêtaient la reprise de ses activités. Pour contrer l’évènement, l’Église, qui ne tolérait aucune manifestation hérésiarque, prit la décision d’organiser, à cette même date, trois fêtes chrétiennes, dont la « Fête des Chandelles », plus connue aujourd’hui sous le nom de « Chandeleur. »

Tout commence par l’élection de quatre ours. Quelques jours avant la fête, les jeunes du villages se réunissent, dans la salle des fêtes, pour tirer au sort les quatre personnes qui auront l’honneur de jouer le rôle des ours. La sélection se fait par tirage aléatoire et la déception des nombreux jeunes qui devront attendre un an de plus avant de retenter leurs chances, est imaginable évidement. L’age pousse bien sûr les moins jeunes, remplacés systématiquement par la jeune génération, vers la sortie.

Jouée en une journée, cette fête représente le passage initiatique, de plusieurs villageois, du statut d’ours au statut d’être humain civilisé. Les « ours », armés d’un bâton, d’un côté, les chasseurs ou barbiers de l’autre. Les peaux de moutons sont cousues sur les « ours », leur tête ceinte d’un bonnet de fourrure, leurs mains et leur visage enduits de suie ou de cirage noir.

Ils peuvent alors s’élancer dans la ville marquer, de leur patte noire, les festivaliers. Le jeu consiste, pour les ours, à faire le spectacle parmi la population. Toute la matinée, ils vont au devant des villageois, en particulier des jeunes filles, et les entraînent dans une danse ou le bâton va être passée de l’ours à la personne ciblée. La victime se doit de rentrer dans le jeu en acceptant également de faire le spectacle, la danse se terminant toujours par une embrassade forcée, ce qui enduit la victime de cirage… Tout le jeu de la matinée consiste donc à recevoir, ou à éviter, le cirage sur les joues. En outre, des jeunes, déguisés en vieillards, attrapent les jeunes filles, de préférence en robe, pour passer une bassinoire(3) sous leurs jupes et jupons.

Vers la fin de la matinée, après que les ours aient couru dans tout le village, les barbiers entrent en scène. Il s’agit d’une horde de villageois déguisé en blanc des pieds à la tête, armés de bâtons et d’erminettes, de hachettes, de haches ou de cognées, qui ont pour but, vers le milieu de l’après midi, d’isoler les bêtes sur la place du village, les ligoter sur un siège pour pouvoir enfin les raser à l’aide des haches, simulant le passage de la bestialité à l’humanité. Puis, sardanes et repas terminent la fête !


Le Babau de Rivesaltes.


Dans la nuit du 2 au 3 février 1290, la population de Rivesaltes fut brusquement réveillée par un grand vacarme et des cris assourdissants… Six enfants, dont le plus âgés n’avait que 7 ans , venaient d’être enlevés par une bête énorme entrée dans la ville par le « Forat del Forn », le trou du four, lieu où l’on jetait les ordures, et dévorés.

Le lendemain, la procession de la St Blaise fut annulée et le trou fut bouché en toute urgence. Mais dans la nuit le mur fut à nouveau troué et des traces du monstre, surgissant des eaux du fleuve Agly, apparurent dans le sable de la berge.

Pourvue d’une mâchoire impressionnante, de griffes redoutables et d’yeux lançant des flammes rouges, elle ressemblait à un dragon. Un des veilleurs de la ville effrayé par cette vision d’épouvante ne put la décrire que par ces mots « va vau… va vau(4) », – ba baou… ba baou car, en catalan, le v se prononce b et le u, ou -, nom qui resta depuis au monstre.

Le drame prit fin quelques jours plus tard grâce au Seigneur des Fraisses, qui décocha deux flèches dans la gueule du Babau. Blessé mortellement, l’animal prit la fuite et s’échoua près d’Ortolanes, où il mourut. Trois côtes du monstre furent prélevées, en guise de relique, par les habitants soulagés et sa mort fût l’occasion d’une fête mémorable. Une des « côtes »(5) est toujours visible à l’office du tourisme.

La fête médiévale du « Babau » se déroule, chaque année, à Rivesaltes, au milieu du mois d’Août. Au-delà de cette légende et des festivités que lui consacrent, chaque année, la ville de Rivesaltes, le Babau puise dans la réalité historique. Dans les registres religieux de l’époque, la procession de la Saint-Blaise fut en effet annulée suite à la disparition d’un certain nombre d’enfants. Ensuite, l’histoire aurait « glissé » pour donner vie à cette légende. Reste que dans l’histoire du Babau, comme dans celle de Sant Jordi, – Saint Georges -, qui terrasse le dragon, se retrouve le mythe universel de la lutte du bien contre le mal, du gentil chevalier qui arrive à terrasser le monstre.


La grêle et les Simiots, fléaux de la vallée du Tech.


Une chronique du XVIIIe siècle raconte que des êtres malfaisants, des montres à corps de lion et à tête de singe, ont terrorisé, pendant un temps, les habitants du Haut-Vallespir. Dans la vallée traversée par le Tech, alors que des orages de grêle avaient détruits les récoltes des paysans, un autre fléau venait accabler les villageois. Selon cette chronique, « De jour comme de nuit, des bêtes féroces assez semblables à des chats voire des singes s’introduisaient dans les maisons, sans crainte de l’homme, et enlevaient les enfants de leurs berceaux, les étouffaient et les emportaient pour les dévorer. »

L’abbé Arnufle, croyant que ses pêchés et ceux des habitants étaient la cause de tous leurs problèmes, prit, à son compte, cette malédiction. Parti pour Rome, il alla chercher de l’aide auprès de Jean XVIII. Le pape, touché par son histoire, lui confia des reliques de Saint Abdon et Sennen. L’abbé ramena, à Arles-sur-Tech, les précieux trésors cachés dans une barrique truquée.

Quoi qu’il en soit la légende veut que les monstres aient disparu à l’arrivée des ossements de Saint Abdon et Saint Sennen rapportées dans un sarcophage, a Sainte Tombe d’Arles-sur-Tech, depuis Rome par Arnulphe. « Des chroniques, postérieures au Xe siècle, contiennent le récit naïf des terreurs populaires qui envahirent l’Europe chrétienne dans l’attente de l’an Mille. La légende y occupe une place importante. Mais il semble que le Vallespir fut particulièrement éprouvé vers cette époque. Sans doute connut-il une inondation catastrophique suivie de famine.

Chassés de leurs repaires par la faim et par l’eau, les bêtes sauvages : loups, ours, sangliers, chats sauvages, erraient de jour comme de nuit en pleine campagne dans les lieux habités. À travers eux on crut apercevoir des monstres, – des vieux chroniqueurs et la tradition locale les appelant « simiots » parce qu’ils ressemblaient à des singes -, de formes étranges, inconnus dans nos montagnes.


Les sorcières de Tresserre.


Mais les légendes du pays catalan ne s’arrêtent pas là. Un personnage reste incontournable : la sorcière. Autrefois, chaque village avait la sienne. D’un côté il y avait les « encantades », – les fées -, des créatures enchanteresses. Certains lieux-dits, comme la « Cova de las encantadas », – la grotte des fées -, ou le « Roc de las encantadas », rappellent la légende disant qu’elles avaient l’habitude de se retrouver au bord de torrents isolés en montagne, en Cerdagne et en Conflent en autres lieux. Il paraîtrait qu’un berger, tombé sur elles alors qu’il poursuivait un cheval, l’avait amèrement regretté. Alors qu’il les épiait se baignant dans le lac des Bouillouses, ces dernières l’avaient changé en pierre.

Les « bruixes », – les sorcières -, leurs étaient opposées. Villefranche-de-Conflent est connu pour être le fief de ses vieilles femmes au nez crochu souvent agrémenté d’une verrue. Elles ne sortaient jamais sans leur balai, ni leur tablier qui les protégeaient lorsqu’elles préparaient des potions. Leur chevelure, aussi sombre que leurs habits, finissait de parachever le tableau. Les bruixes volaient de nuit et seuls les chats pouvaient les voir. Du haut d’un toit ou d’une cheminée, elles choisissaient les maisons qu’elles souhaitaient maudire. Pour les faire fuir, les Catalans n’oubliaient pas de mettre parmi les tuiles un « espente bruixes », – un effrayeur à sorcières -, en fer forgé ou sous la forme d’une pierre dressée vers le ciel, ou une tresse d’aulx.

Autrefois, chaque village avait ses sorcières. Enfourchant leur balai, les « bruixes » se rendaient au sommet du Cambre d’Aze. Dotées de grands pouvoirs, pas forcément maléfiques, elles sont même considérées comme de véritables porte-bonheur. Des ateliers artisanaux confectionnent toujours ces poupées, symbole de bienvenue et de prospérité, suspendues à l’entrée du chez soi ou dans la chambre des enfants pour chasser les « mauvais esprits. »

A Tresserre chaque année à la fin octobre, les Sorcières avec leurs chapeaux noirs et pointus, ongles longs et nez crochus, investissent le village. Pétries de bonnes intentions, elles invitent toute la population à faire la fête durant un long week-end. Spectacles fantastiques, jeux médiévaux burlesques, contes et théâtre,… de cette potion magique résulte une fête insolite pour petits et grands.


Notes.


(1) « temps de carnestoltes », le temps du carnaval ;

« carnestoltes », le carnaval ;

« darrers dies », les derniers jours.

(2) Le « porró », en catalan, « pourou » en Roussillon, est un type de pichet à vin traditionnel en verre, originaire des régions d’Aragon et de Catalogne. Il ressemble à un croisement entre une bouteille de vin et un arrosoir. Le goulot est étroit et peut être bouché. Du bas du pichet survient une sorte de bec qui se rétrécit jusqu’à devenir une petite ouverture de 2 à 3 millimètres. L’ouverture supérieure sert à remplir de vin le porró, et elle peut être fermée avec un bouchon en liège. Le pichet est conçu de manière à ce que de faibles quantités de vin soient bues. Le porró est aussi une façon conviviale de partager le vin une fois qu’il est servi à table, sans utilisation de verres. Normalement rempli de vin rouge, ordinaire ou de qualité, de blanc, de rosé ou de muscat, il n’entre jamais en contact avec les lèvres lorsqu’on boit.

(3) La bassinoire est un appareil servant à chauffer le draps de lit, dans lequel a été mis, pour la fête de l’ours, à brûler des soies de porc.

(4) Traduction en français de « va vau… va vau » : il a…il a

(5) En vérité, il s’agit d’une côte de baleine qui s’était échouée, à Saint Cyprien, le 27 novembre 1828 et à laquelle il manquait quelques cotes quand arrivèrent les spécialistes. C’est ainsi que des côtes, de monstres sanguinaires, il s’en trouve aussi à Arles sur Tech.

 

20 Novembre 2012 © Raymond Matabosch

4 réflexions sur « Carnaval en terres de Roussillon. »

  1. C’EST DRAKULY, SUR SON BALAI ?
    IL PREND SOUVENT L’AVION EN CE MOMENT
    POUR DES CONFERENCES A 10000[b]$[/b] !!!
    AVEC LUI, C’EST CARNAVAL TOUS LES JOURS !

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