Brexit : les expats brits (et autres, dont les Frenchies) balisent

Je ne vais pas me lamenter sur le sort d’Eliaquim Mangala, Morgan Schneiderlin ou N’Golo Kanté, trois joueurs de balle au pied qui, en cas de Brexit, un jour ou l’autre (certainement pas au lendemain du référendum de ce vendredi), pourraient éprouver des difficultés à renouveler des contrats avec les clubs anglais… Mais celui des expats britanniques fixés dans les pays de l’Union européenne m’inquiète davantage… en particulier celui des retraités… et ce à juste titre. Mais très modérément.

Sur VoxEurop (.eu), Alex Taylor, Britannique et correspondant à Bruxelles pour divers titres du Royaume-Uni, résume fort bien la situation de ses compatriotes expatriés dans les pays de – ce qu’il restera peut-être – l’Union européenne. « Nous pourrions bien perdre nos droits de séjour, aux soins de santé ainsi que [ceux] en matière de travail et de retraite. Pour ne rien arranger, ceux d’entre nous qui ont quitté le Royaume-Uni il y a plus de 15 ans n’auront même pas le droit de voter. ».

Ces derniers sont, pratiquement en majorité, des retraités, nécessitant des traitements ou soins médicaux. Je ne sais si c’est le cas de Don(ald) et Irene Spence, un couple d’Écossais de mes amis résidant en Espagne depuis près de deux décennies. Peut-être ne se sont-ils déclarés résidents en Espagne que depuis moins de 15 ans. Ils vivent près d’Alicante, dans une sorte de ville nouvelle qui n’a rien d’East Kilbride : que du pavillonnaire, que des expats ou des étrangers (Russes, en particulier) venant en villégiature. Parmi ces expatriés (surtout Britanniques ou Scandinaves), une forte majorité de retraités mais aussi des artisans, des travailleurs indépendants. Certains ont déjà reflué vers les îles britanniques ou tenté leur chance ailleurs, mais la plupart resteront.

Rien qu’en Espagne (Canaries incluses), les Britanniques sont 800 000. C’est le plus fort contingent des pays de l’Union européenne. Ils sont environ 200 000 en France. Le total avoisine les deux millions.

Alex Taylor poursuit : « Tenons-nous vraiment à échanger les membres du personnel médical polonais ou roumains qui (…) se soucient des malades et des personnes âgées vivant au Royaume-Uni, contre des hordes d’expatriés, qui sont bien souvent d’un certain âge, et n’auront plus le droit de rester sur leur lieu de résidence actuel ? ».

C’est certainement exagérément alarmiste présenté de la sorte. D’une part, le Royaume-Uni prévoit des exemptions pour les personnels de santé, d’autre part, les négociations d’après-Brexit peuvent porter sur les soins dont bénéficieraient les expatriés, tant ressortissants de l’UE au Royaume-Uni que, en contrepartie, britanniques.

En Belgique, les seniors (plus de 65 ans) bénéficient de réductions fortes sur les chemins de fer. Hors trajets vers des villes frontalières, un aller-retour ne leur revient qu’à six euros, quelles que soient les destinations en Belgique. Il n’est pas du tout sûr que la Belgique retire ces avantages aux seniors britanniques, résidents en Belgique ou non, si le Brexit l’emportait. Mais, pour d’autres aides, qu’en serait-il ? Selon les pays, des mesures s’apparentant à de la rétorsion pourraient être adoptées.

Autant qu’il m’en souvienne, avant que le Royaume-Uni rejoigne la CEE, des échanges entre lecteurs anglophones et francophones, permettant aux étudiants d’enseigner pendant un an, existaient.

Par ailleurs, tant le Royaume-Uni que les pays de l’Eu pourraient faciliter la double nationalité : près de la moitié des résidents français d’assez longue date au Royaume-Uni sont binationaux.

« Si mes compatriotes votent pour la sortie de l’UE, je demanderai un passeport français vendredi », conclut Alex Taylor. D’autres Britanniques l’ont précédé.

Quoi qu’il en soit, les expats devront faire face à de possibles risques. Ainsi, progressivement, car la sortie effective du Royaume-Uni n’interviendrait que sous deux ans, diverses mesures pourraient les frapper au portefeuille de part et d’autre de la Manche. Par exemple, les retraites pourraient être taxées.

Le scaremongering (l’alarmisme outrancier) pourrait cependant favoriser une bourrasque, un temporaire vent de panique. Certes les Britanniques sont flegmatiques, adeptes du keep calm and carry on. Mais ils sont nombreux à contribuer aux économies locales, en particulier celles des zones rurales dans le sud de la France, ou de larges contrées espagnoles. S’il ne faut pas craindre un subit départ massif, une érosion du nombre des expatriés britanniques dans les pays du continent aurait des répercussions notables.

Mais disons-le tout net : en cas de Brexit, les banques européennes les plus potentiellement affectées seront la Deutsche Bank et la Commerzbank. L’Allemagne fera presque tout pour limiter la casse et s’assurer qu’aucune mesure s’apparentant à de la rétorsion soit opposée au Royaume-Uni. Berlin saura-t-elle en convaincre les autres capitales ? On peut sans risque parier que les dérapages seront limités. Wait and see, amis expats britanniques, le pire n’est jamais sûr.

D’autant que ce n’est guère parce que l’actrice Liz Hurley s’est prononcée pour le Brexit, la veille du scrutin, en posant nue derrière un coussin au motif Union Jack, que la donne variera. Les tout derniers sondages donnent un avantage au Remain. Mais l’issue devra sans doute beaucoup au taux de participation. Or, dans de nombreuses régions, la pluie battante, les inondations, pourraient en décourager plus d’une et plus d’un de se rendre aux urnes. Sur le continent, un temps plus clément, le vote par correspondance, inciteront sans doute mieux les expats le pouvant à voter pour le maintien dans l’Union européenne.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !