Avortement : nouvelles restrictions en Espagne

Est-ce l’effet « pape François » ? L’interruption volontaire de grossesse (IVG) va être en Espagne. Le ministre de la Justice, Alberto Ruiz-Gallardon a en effet annoncé hier un durcissement de la loi sur l’IVG. La mise en danger de la vie de la mère devra être plus précisément attestée, les avortements pour raisons de malformations du fœtus seront prohibées et il est question d’interdire aux mineures d’avoir recours à l’IVG.

La cour constitutionnelle espagnole, avec l’appui du ministre de la Justice et de la majorité des parlementaires, pourrait bientôt entamer une révision, beaucoup plus restrictive, de la loi espagnole sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

D’une part, les médecins pourraient plus facilement alléguer des dilemmes de conscience pour refuser de procéder à tout avortement, comme cela s’est produit récemment en Irlande où une femme est morte des suites d’un refus d’IVG.

D’autre part, pour éviter tout « eugénisme », il serait réaffirmé que la vie est un droit inaliénable dès la conception. Personne n’a le droit de l’interrompre en raison de malformations (ce qui réintroduit une notion de « péché » ultérieur si la personne née infirme était tentée de mettre fin à ses jours et en aurait la capacité). De même, il faudrait établir la certitude que la mère soit gravement en danger de mort  pour procéder à une IVG. Conséquence évidente : une erreur de diagnostic – l’erreur étant humaine et ne pouvant être reproché à un médecin qui aurait estimé à tort une espérance de survie – pourra passer pour une raison suffisante de mettre en danger la vie de la (non-)future mère.

Enfin, les mineures seront protégées contre elles-mêmes en cas de grossesse. Leur corps ne leur appartenant plus dès lors qu’elles sont enceintes, puisqu’elle deviennent le « réceptacle » d’une vie future, parents, mais surtout les médecins auxquelles elles s’adresseront décideront pour elles.

Que restera-t-il de la loi précédente sur l’IVG ? Mystère.

Le garde des Sceaux espagnol a fait par de ces orientations au quotidien La Razon, hier lundi, à l’occasion de l’annonce d’une profonde réforme de l’institution judiciaire et de son administration. Un nouveau code de procédure pénale devrait voir le jour, la procédure inquisitoire devrait être remplacée par la procédure accusatoire des pays anglo-saxons. Le juge devient arbitre entre le parquet et la partie civile, d’une part, et la partie adverse, plaignant et défenseur étant censés se retrouver à égalité (parfois selon les talents et la renommée des avocats engagés).
Cette réforme devrait rendre l’institution plus efficace et réduire les délais de procédures.

La cour constitutionnelle espagnole s’était prononcée sur l’avortement en 1985. Il est à présent question de considérer que le droit à la vie débute dès la conception. « Le danger pour la santé physique et psychique de la mère ne doivent pas servir de prétexte pour contourner les décisions prises par la cour constitutionnelle », a résumé d’abord le ministre. Il s’agit d’inciter la mère à opter pour la vie de l’enfant à naître. Par ailleurs, « il n’y a pas de vie en valant davantage qu’une autre » (en clair : naître pauvre et gravement malade vaut bien de naître riche et en parfaite santé).

Les mineures devront être « éclairées » sur leurs choix et l’objection de conscience des médecins défavorables à l’avortement pour des raisons personnelles (quelles qu’elles soient : s’il s’agit de rentabilité par rapport à d’autres actes, le chirurgien n’aura pas à en faire état) sera reconnue.

En fait, et de manière concrète, cela revient à exposer les mineures ou majeures enceintes les plus démunies financièrement à se débrouiller pour les moyens de se faire avorter à l’étranger. Mais bien sûr, ni la religion, ni d’autres principes, n’ont été évoqués par le ministre qui s’est bien préservé de la présenter de la sorte. Il ne s’est pas non plus exprimé sur les cas de viols ayant entraîné une grossesse (la loi actuelle permet l’IVG si le viol est établi).

En octobre 2009, plus d’un million de personnes avaient défilé à Madrid pour réclamer l’interdiction de l’IVG. De fait, depuis le début des années 1990, le nombre des IVG avait doublé en Espagne. Le droit à l’IVG est discrétionnaire durant le premier trimestre de la grossesse, soumis à restrictions après 14 semaines (mais restant possible, conditionné, jusqu’à 22 semaines en cas de risques graves pour la mère ou le fœtus). Cela découle d’une loi de février 2010 entrée en vigueur en juillet de cette année, la précédente, de 1985, étant plus restrictive.

Déjà, en juin 2010, le Parti populaire (majoritaire), avait saisi la cour constitutionnelle qui ne s’est pas encore prononcée. En novembre 2011, le PP avait introduit la révision de la loi dans son programme électoral.

Avant 1985 et depuis 1822, l’avortement était sanctionné par une peine de 14 ans pour qui y procédait, et de huit ans pour les mères enceintes. Cette loi avait été suspendue durant la période républicaine, le franquisme la rétablissant.

Depuis 2011, il existe en Espagne 172 centres d’IVG ayant procédé au cours de cette année près de 120 000 avortements (soit 12,44 pour mille femmes). Les avortements chimiques (pilules du lendemain et autres) ne représentaient (estimation) qu’environ 4 % des IVG en Espagne.

Les déclarations du ministre interviennent alors que le « président épiscopal » espagnol, l’archevêque de Madrid Antonio Maria Rouco Varela, venait d’annoncer une campagne publicitaire pour 150 000 euros afin de convaincre les mères de ne pas recourir à l’avortement (avec des affiches montrant des embryons prêts à naître). Pour lui, l’actuelle loi est une « absurdité éthique et juridique ». « L’Espagne vieillit et s’affaiblit », s’était exclamé le président de la conférence épiscopale. Il avait insisté sur le caractère sacré du mariage (sans insister sur le primat patriarcal) et le droit des Espagnoles et Espagnols à recevoir une éducation en tant que futur·e·s conjoint·e·s.
La référence à la doctrine morale et sociale chrétienne est pour lui indispensable à son pays.

Le cardinal Antonio Cañizares s’était aussi prononcé à la mi-avril pour réaffirmer qu’on ne peut vivre comme si dieu n’existait pas. Le droit à la vie « n’appartient qu’à dieu », avait-il proclamé. Il s’était appuyé sur la volonté de continuité du nouveau souverain pontife, François.

Juan Antonio Reig Pla, évêque d’Alcala, avait repris les condamnations de l’IVG et condamné les idéologies marxistes et libérales ou « l’extrême individualisme » dénaturant la sexualité. L’avortement détruit le lien et la texture sociales, selon lui. Agel Rubio, évêque de Ségovie, a estimé le chiffre d’affaires des « avorteurs » à 50 millions d’euros en Espagne et estimé à 300 le nombre des avortements quotidiens. La plupart des centres d’IVG sont des cliniques privées, l’église espagnole étant souvent influente pour les nominations publiques et formant des médecins.

Selon la plus célèbre vaticaniste espagnole, Paloma Gomez Borrero, un pape progressiste en matière de sexualité est une impossibilité, est « impensable ».

Les déclarations de l’épiscopat et du ministre de la Justice suivent de peu la révélation incertaine, par son cousin, que la princesse Letiza (née Ortiz), épouse du prince Felipe, aurait avorté des œuvres du journaliste David Tejera (elle est divorcée d’Alonso Guerrero). De ce fait et d’autres (des scandales financiers, des faits de corruption), la famille royale espagnole n’est plus tout à fait considérée exemplaire par une large partie de la population.

Depuis l’élection du pape François, de Dallas à Madrid, ou encore Ségovie ou Salamanque, divers évêques se sont de nouveau véhémentement exprimés contre l’avortement, sans réaction particulière du Vatican.

Des manifestations « pro-vie » sont régulièrement organisées en Espagne avec des arguments tels que l’abolition de l’avortement est aussi importante que celle de l’esclavage. Des films comme October Baby (avec pour héros un jeune de 19 ans adopté après un avortement évité), sorti sur les écrans espagnols le 12 avril dernier, rencontrent un succès militant. L’avortement est peut-être un commerce, selon l’épiscopat espagnol, mais ce n’est visiblement pas le seul… Les très nombreux mouvements « pro-vie » espagnols récoltent des fonds considérables.

Selon ces mouvements et l’église espagnole, ce n’est pas la crise économique, la difficulté à cohabiter et élever des enfants qui seraient la source du fléchissement démographique. Encore un effort pour promouvoir la flexibilité du travail des enfants des familles nombreuses qui redonneront à l’Espagne sa compétitivité face à la concurrence internationale…

L’église catholique espagnole envisage d’abord d’obtenir la réintroduction de l’interdiction de l’avortement avant de faire réviser la loi sur les homosexuel·le·s. Il est possible qu’elle considère qu’un homosexuel ou une lesbienne célibataire soient plus productifs et rentables… pour un patronat qui n’est pas en peine de largesses pour financer les œuvres et universités de l’église catholique romaine d’Espagne.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

Une réflexion sur « Avortement : nouvelles restrictions en Espagne »

  1. autant avorter comme cela se voit parce qu’il manque un doigt de pied au foetus est imbécile ,autant interdire l’avortement pour malformations graves…

Les commentaires sont fermés.