Doi Chang : de l’opium au café

Dans cet article je vous emmène au nord de la Thaïlande dans le royaume de l’or blanc, plus communément connu sous le nom du Triangle d’or. Après une présentation générale du Triangle d’or et de la production d’opium, en Thaïlande spécifiquement, je me focaliserai principalement sur le village de Doi Chang ("la montagne éléphant" en thaïlandais), typiquement "Akha" (tribu indigène des hautes plateaux de la Thaïlande, de la Birmanie et du Laos), situé dans la région de Chiang Rai.

Célèbre auparavant pour son rôle central dans le commerce d’opium, Doi Chang est dorénavant connu pour son succulent café aux odeurs indescriptibles qui a le don de raviver tous nos sens. Loin des plages paradisiaques, vous découvrirez un autre aspect du Royaume de Siam : des montagnes spectaculaires, des vallées obscures, des forêts majestueuses, mais aussi des gens d’une pauvreté incroyable au grand cœur. Cette présentation sera toutefois quelque peu différente car elle continuera sur un second article. Le deuxième sera plus focalisé sur mon expérience personnelle lors de ma visite de Doi Chang, alors que celui-ci vous explique comment le village, anciennement grand producteur d’opium, s’est tourné vers une production de café biologique Fairtrade.

Le Triangle d’or

La région du Triangle d’or englobe plusieurs parties de différents pays d’Asie du sud-est : la Birmanie, la Thaïlande, le Laos et le Vietnam. Le Triangle d’or est, avec le Croissant d’or qui inclut l’Iran, le Pakistan et l’Afghanistan, le plus grand producteur d’opium au monde depuis les années soixante. Toutefois, depuis 1991, l’Afghanistan se trouve au premier rang. L’industrie touristique thaïlandaise utilise plus communément ce terme de "Triangle d’or" pour désigner les terres proches de ces trois frontières : Birmanie, Laos et Thaïlande. La convergence entre deux fleuves, le Ruak et le Mékong, dessine cette région.

Opium en Thaïlande

L’origine de la culture du pavot somnifère daterait de l’âge néolithique. De nombreuses anciennes civilisations l’appréciaient déjà à l’époque pour ces effets sédatifs, mais également pour ses propriétés culinaires ou pour diverses pratiques religieuses. De nos jours, cette plante est employée légalement dans la fabrication de médicaments comme la morphine par exemple. Aussi utilisée dans la préparation de pains spéciaux, biscuits ou pâtisseries, la graine de pavot est un aliment riche en minéraux et en antioxydants.

L’opium, une drogue obtenu à partir du latex de la capsule du pavot somnifère encore immature, aurait vu le jour au treizième siècle dans différentes sociétés musulmanes puis en Chine. De nos jours, le plus grand producteur d’opium se trouve être l’Afghanistan, se plaçant avant le Triangle d’or. En 2013, l’Afghanistan atteint son apogée avec une production de 9200 tonnes. Néanmoins selon l’Organisation des Nations Unis (ONU), grâce à une politique de régression importante, la production de l’année 2014 serait estimée à seulement 3300 tonnes.

Présent en grande quantité sur le marché chinois, ce puissant narcotique fut très vite apprécié par les colonisateurs français, durant la guerre d’Indochine de 1946 à 1954. Suite à la seconde guerre mondiale, afin de satisfaire une demande toujours plus grande, le gouvernement thaïlandais légalisa les cultures d’opium sur les hauts plateaux du Nord, ce qui attira plusieurs ethnies chinoises, dont les Hmong et les Yao. Peu de temps après, la production s’intensifia profusément dans l’Etat Shan, subdivision de la Birmanie. Bangkok, la capital de la Thaïlande, devint le centre clef quant au commerce international de cette drogue. Souvent critiquée à ce sujet, la Thaïlande décida en 1957 d’interdire tout trafic d’opium. Cette disposition entraîna une certaine baisse de sa consommation mais laissa place à d’autres drogues : la morphine et l’héroïne. En 1959, la loi se renforça en interdisant toute drogue. Cependant, les autorités en charge des hauts plateaux décidèrent de détourner consciemment leur regard, laissant libre court aux marchands et trafiquants dans leur business. Corrompus, les fonctionnaires et bureaucrates profitèrent de cette situation pour taxer indûment les cultivateurs. Dans les années soixante, l’Etat introduisit une nouvelle politique, le développement régional intégré, visant à empêcher la continuité de la  déforestation sauvage, à établir une culture stable se substituant à l’opium et à pousser les villageois à jouer un rôle important afin d’empêcher l’immigration illégale. Les piètres infrastructures et les conditions économiques désastreuses empêchaient le bon déroulement de ces idées plutôt ambitieuses. La Thaïlande, mise sous pression par les Etats-Unis, accepta donc une aide financière extérieure dans la mise en place de ce projet.

Aujourd’hui, les montagnards semblent toujours accorder une certaine importance à l’opium et continuent à en consommer. Effectivement, il est relativement facile pour eux de se procurer de l’opium de contrebande provenant des régions voisines comme le Laos. Toutefois, souvenez-vous que les thaïlandais, relativement stricts en matière de drogues, n’auront que peu de scrupules à vous envoyer en prison dans le cas où vous seriez surpris avec de la drogue.

Doi Chang et son café

Les méthodes de culture de l’opium détruisirent dramatiquement la jungle originelle. De plus, l’usage de l’opium entraîna la mort de nombreux villageois et rendit les autres désespérés et dépendants de ses effets. À cela s’ajoutent l’écroulement de l’économie de la région et l’abandon des minorités ethniques par leur gouvernement après l’instauration de la politique intégrée, sensée soutenir les minorités. Aussi, de plus en plus de jeunes décidèrent de quitter la campagne afin de tenter leur chance en ville.

Néanmoins, le destin du petit village de Doi Chang, situé à presque 1400 mètres d’altitude, changea totalement grâce à l’ambition d’un homme nommé Wicha Promyong (décédé le 23 janvier 2014). Cet astucieux thaïlandais, quelque peu modeste, fut un élément majeur dans le redressement économique et social de nombreux villages d’Asie du sud-est et même plus loin encore. Très admiré par les chefs des villages, les gouvernements et la population, il devint rapidement une personnalité importante. On l’appelait régulièrement pour régler des disputes entre villageois. Il détenait de nombreux cafés et en finançait trois cents autres. Suite à la demande du chef de Doi Chang, il décida d’aider le village à sortir de la pauvreté en  transitionnant vers une économie durable : le café biologique. Wicha fonda la Doi Chaang Coffee Company (pour la petite anecdote un "a" à "Chang" fut rajouté suite à des affaires de restrictions avec l’ancien nom). Il prit en charge la reforestation de la jungle totalement disparue. Les villageois construisirent, sous la direction de Wicha, différents moulins, espaces bétonnés et une école pour enseigner aux fermiers comment cultiver le café.

Trouver du financement pour la construction d’une route afin de relier le village au monde se révéla comme une priorité absolue. En collaboration avec John M Darch, un brillant cadre canadien ayant fait fortune dans l’exploitation minière, Wicha eu l’idée de développer leur entreprise sous le label Fairtrade afin de garantir un partage équitable des bénéfices. Fairtrade garantit un revenu convenable aux petits productions du bas de la chaîne. Une nouvelle compagnie, Doi Chaang Canada, créée par Darch, vit le jour au Canada dans le seul but de commercialiser le café, acheté selon les normes Fairtrade Premium, du village de Doi Chang en Thaïlande. Afin de garantir un partenariat sur le long terme, Doi Chang en Thaïlande possède 50% de l’entreprise Doi Chaang Canada. Plus tard, le gouvernement investit dans l’établissement de lignes électriques, d’un hôpital et d’une route qui mène jusqu’aux cultures. Doi Chaang Company, toujours pleine d’ambitions, produit aujourd’hui aussi du miel biologique provenant de ses propres ruches et envisage de fabriquer des savons et autres produits cosmétiques à base de café et de miel.

Grâce à la culture du café, tous les villageois peuvent manger à leur faim. Ils continuent également d’investir dans de nouveaux terrains et des équipements pour le café. De plus, avec les bénéfices rapportés, de nombreux jeunes peuvent entamer des études universitaires.

 

 

 

Sources :

https://wikipedia.org

https://doichaangcoffee.com

Livre : "drogue et reproduction sociale dans le Tiers monde", Éric Léonard

www.wogancoffee.co.uk