Analyse d’une expression : Faire son deuil

(à la manière de JM…)

Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde.

A plusieurs reprises, ces derniers temps, on a pu entendre des gens de toutes origines et de tous horizons (des plus obscurs aux plus fameux) affirmer, à l’évocation d’un disparu cher, qu’il ne leur était pas possible d’en faire le deuil. L’un des plus récents était Daniel Guichard, évoquant son « vieux » chez Ruquier, à On N’est Pas Couché…

C’est là que la maxime, chère à Nicanor, confirme qu’en n’accordant qu’un sens très approximatif aux mots qu’on emploie (aux maux qu’on en ploie ?), on ne fait qu’alourdir encore un peu plus son propre malheur, ainsi que le ferait un boulet accroché à nos pieds alors que le comte de Monte-Cristo commençait tout juste de percer sous Edmond Dantès.

 

Non que j’ai manqué d’éprouver moi-même, aussi souvent qu’à mon tour (voire plus), l’incapacité absolue dans laquelle on peut se trouver d’oublier celui-là ; ni même la peur (une forme de honte anticipée ?) d’oser imaginer qu’un jour on pourrait s’adonner (se laisser aller ? s’abandonner ?) à cette trahison de l’oubli.

« Faire son deuil » est pourtant en revanche une formulation résolument active : si le verbe faire en est l’épine dorsale, résolument, ce n’est ni par le fait d’un hasard, ni par celui d’une coïncidence. Cette construction suffirait amplement, s’il en était besoin, à écarter toute éventualité qu’elle put se superposer avec le renoncement et l’effacement.

Il est donc nécessaire et indispensable (vital au sens propre) de se rendre à cette évidence que « faire son deuil » n’a jamais signifié rien de tel, ni même de simplement approchant. Le deuil est ce défi consistant à résoudre l’insoluble équation aux deux sinistres inconnues :« Je sais que je ne te reverrai plus » et « J’admets pourtant que la vie se doive de continuer ».

Quant à lui, le sens de « faire son deuil » est ce paradoxe absolu :« Je me mets sur le chemin qui me mènera à accepter cet inacceptable ». Personne n’a l’expérience de ce chemin a priori ; personne n’en a même jamais exploré les tout premiers mètres. On s’y engage avec la même sorte de confiance que celle que l’on éprouverait en plongeant dans une piscine dont on ignorerait si elle est pleine ou vide !

Un exploit tellement loin d’être naturel qu’on l’a baptisé « travail de deuil ». Si difficile, épuisant et incertain, mais cependant réalisable : une légion de veufs et d’orphelins en témoignent simplement et silencieusement sous nos yeux, sans le revendiquer, une fois surmontée l’inéluctable et mortifère phase de culpabilité !…

Vous, fidèles de C4N, êtes en train de démontrer qu’ayant fait votre deuil de Nicanor, vous ne l’avez pas oublié pour autant, lui qui s’en est à jamais retourné à ses sources, puisque vous venez de lire jusqu’à son terme ce modeste hommage…

Mais on aurait tort de ne s’en tenir qu’au seul sens propre. Car l’expression recèle aussi un sens figuré, tant qu’on n’a pas encore atteint le terme du travail, qui se prononce « c’était mieux avant ». Car vivre sereinement son présent ne peut s’envisager sans être parvenu à faire le deuil de son passé ! Faire le deuil de son passé, c’est aussi accepter cette évidence qu’il ne reviendra plus jamais ; mais sans pour autant l’oublier, puisqu’il représente le substrat de nos racines.

Et plus pratique encore, on serait bien inspiré de reconnaître que l’avatar le plus quotidien de ce pathétique « c’était mieux avant » se matérialise dans la panoplie des « anti-âge », puisque c’est par ce pauvre lapsus que notre société « moderne » choisit de travestir la vaine pharmacopée, laquelle, bien plus modestement, se satisferait amplement de l’accomplissement d’un « miracle » de l’anti-rides.

C’est le prix à payer que nous impose (que nous inflige ?) notre culture occidentale : étant linéaire, elle ne peut, nécessairement, nous conduire que d’un début vers une fin ; a contrario, ces deux extrémités perdraient jusqu’à leur sens (ou en tout cas leur singulier) si le linéaire devait s’effacer au profit d’un circulaire impliquant la conséquence d’une continuité infinie ou a minima des répétitions de débuts et de fins, voire des renaissances.

Allez, il est grand temps d’en rester là pour nous laisser le temps et la disponibilité d’observer Hollande en train de faire son deuil de sa popularité et Sarko celui de sa crédibilité (à moins que ce soit l’inverse…) !

Ar’vi pa

 

4 réflexions sur « Analyse d’une expression : Faire son deuil »

  1. Bonjour,
    Qu’en peu de mots (maux) la chose est dite (édit) !
    Une remarque : la contrition mortuaire n’est pas la panacée, voir les cérémonies funéraires joyeuses du Mexique

    ps. quid de la formule Ar’vi pa ?

  2. Des lecteurs savoyards nous diront peut-être dans le détail pourquoi Nicanor terminait ainsi ses articles…

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