Accompagner une vie qui s’en va n’est pas triste

 

Parmi mes nombreux emplois, j’ai pratiqué plusieurs années l’aide à domicile, pas un métier comme il est aujourd’hui mais un loisir, au service des personnes âgées qui me payaient, alors, autant en amitié qu’en véritable argent. Des histoires je pourrais en raconter beaucoup mais une me revient souvent à l’esprit, celle de mamie Jeanne.


 Le téléphone sonne et un jeune homme se présente à moi « Monsieur, s’il vous plait, je voudrais parler à la personne qui aide à domicile » d’abord surpris en comprenant que c’était un homme qui proposait ses services au lieu d’une femme, il m’exposa brièvement son soucis.

Il était le petit fils de Jeanne, une vieille dame de 92 ans pleine de vie, le dernier maillon de la chaine familiale, le seul et dernier descendant encore en vie capable de s’occuper du bien être de cette grand-mère vieillissante. Il y a une semaine, Jeanne a été retrouvée seule dans la rue en chemise de nuit ne sachant plus ou se trouvait son appartement, qu’elle occupait depuis soixante ans. Le diagnostic médical tomba impitoyablement « Jeanne était atteinte d’une maladie d’Alzheimer foudroyante ». Celle qui avait toute sa tête à peine une semaine avant, ne reconnaissait plus personne de son entourage, pas même sa belle-fille qu’elle adorait ou ce petit fils qu’elle avait élevé depuis très jeune et qui vivait depuis quelques années dans une partie de son appartement avec son épouse. La situation est grave, Jeanne ne peut plus rester seule, le jeune couple travaille et ne peut se permettre de se mettre en disponibilité, le placement en maison de retraite coûte très cher et jeanne qui ne touche qu’une faible pension de réversion ne peut pas faire face. La solution, la garde à domicile, 24h sur 24 et ma fonction sera de surveiller mamie Jeanne pour l’empêcher de se perdre dans la nature ou d’oublier de fermer le gaz ou une casserole sur le feu. Le lendemain j’arrivais chez jeanne de très bonne heure, elle dormait encore et le couple était prêt à partir au travail, une brève présentation de l’appartement et des consignes de sécurité à appliquer et me voilà seul avec Jeanne qui vient juste de sortir de sa chambre. Jeanne est toute menue, tout au plus 1,70 mètres et ne doit guère peser plus de 50 kgs, les cheveux blanc des racines au pointes et un sourire qui lui éclaire le visage Jeanne se souvient de tout ce qui concerne son passé lointain, de son mari, de ses enfants décédés et de son petit-fils de quelques années qu’elle ne reconnait plus aujourd’hui. La mémoire récente lui revient par brides et puis repart. Les journées se passent presque tranquillement, presque parce que jeanne ne veut pas être enfermée et veut aller sur son balcon devenu trop dangereux pour son état. Il faut faire preuve d’imagination pour lui expliquer, sans la fâcher, que ce n’est pas possible aujourd’hui mais que l’on fera réparer les portes très vite. Le repas de mamie Jeanne n’est pas difficile à préparer, elle mange de tout, en très petite quantité. Le courant entre nous passe bien, nous mangeons tranquillement et nous discutons enfin c’est elle qui raconte, une vrai pipelette qui me demande souvent comment je m’appelle et ce que je fais et repart sur le roman de sa vie, comme si elle savait que son temps parmi nous était compté. L’après-midi était réservé à la promenade dans le jardin. Jeanne marchait encore bien avec sa canne plus rassurante qu’efficace et s’accrochait à mon bras. « Vous voyez cet arbre ? Il a soixante ans, comme moi ! Nous l’avons planté mon mari et moi quand nous sommes arrivé en France. Une dizaine de jours ont passés, Jeanne ne me reconnait plus non plus et a perdu son sourire. Ce midi elle n’a pas mangé et n’a pas voulu faire sa promenade habituelle. Le soir quand son petit-fils est rentré elle m’a congédié gentiment « Merci d’être passé me voir jeune homme mais je dois aller me coucher parce que demain je fais un long voyage ». Le lendemain matin Jeanne ne s’est pas réveillée, elle nous avait quitté sans aucune souffrance, s’en même s’en apercevoir, comme si elle avait décidé qu’il était l’heure Je pense souvent à Jeanne et suis resté ami avec son petit fils, des liens étaient créés .

2 réflexions sur « Accompagner une vie qui s’en va n’est pas triste »

  1. Bonsoir,j’ai lu ce récit car il y a deux ans, je me suis inscrite pour obtenir le diplôme, d’assistante de vie. J’ai été auprès de personnes atteintes de cette maladie et je l’ai étudiée. Mamie Jeanne a eu de la chance de déclarer cette maladie si tard. Elle n’a pas eu le temps de developper tous les symptomes. Ce qui est le plus impressionnant c’est qu’elle a reçu le message de son départ. Il faut pour s’occuper des personnes en fin de vie, beaucoup de force de caractère, faire preuve d’humilité et avoir de l’amour a donner. Il était trop tôt pour moi d’être auprès de ces personnes âgées. J’étais encore trop sensibilisée par le deuil de l’une des personnes les plus chères a mon coeur. Quand on se retrouve avec les personnes âgées, on part sur une autre planète, le futile n’existe plus. Seul l’essentiel reste. Quand je retrouvai dans la rue, il me fallait un temps d’adaptation. Cela m’a appris beaucoup sur l’essentiel a ne pas perdre de vue et sur des capacités que je ne pensais pas avoir face a la douleur physique et morale de ces personnes qui m’ont beaucoup émue. Je repense régulièrement a certaines d’entre elles. La maladie d’ Alzheimer se déclenche de plus en plus tôt..l’Esperance de vie est en moyenne d’une dizaine d’année.

  2. merci ecriveuse pour votre commentaire – en effet ce métier est très difficile et nous met face à la mort de façon permanente mais il est aussi très enrichissant. si j’avais été plus jeune, je crois que j’aurais choisi cette formation. jeanne était un cas atypique et personne, ni même les médecins n’avait prévu un décès aussi rapide mais au moins jeanne n’à pas eu le temps de se rendre vraiment compte de sa déchéance. elle à eu une mort douce – qu’elle repose en paix – JP

Les commentaires sont fermés.